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ENTRETIENS 29 mars 2024

Anita Rachvelishvili,
mezzo pas si méchante ?

© Salvo Sportato

À seulement trente-et-un an, la mezzo-soprano Anita Rachvelishvili s’est imposée comme une Carmen de référence et une interprète majeure sur la scène internationale. Au détour d’une Amnéris à l’Opéra Bastille dans la reprise du spectacle d’Olivier Py, nous abordons avec elle son rapport au rôle, à la musique italienne et française.
 

Le 13/06/2016
Propos recueillis par Vincent GUILLEMIN
 



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  • La saison prochaine Ă  Paris, vous serez Carmen, le rĂ´le qui vous a fait connaĂ®tre et que vous avez le plus chantĂ©. Pourquoi autant depuis sept ans ?

    Quand vous débutez avec Carmen à la Scala et que c’est un grand succès, il est normal que les autres théâtres vous appellent pour le rôle. Pendant deux ans, je n’étais appelée que pour cela, mais c’était agréable. L’industrie de l’opéra est riche en nouvelles productions très différentes. Carmen est aussi un personnage très riche, qui peut être joué de mille manières, et c’est amusant d’inventer de nouvelles choses avec ce rôle. Bien sûr, je garde toujours une ligne d’interprétation personnelle, mais je change le reste, en fonction du chef, du metteur en scène, des collègues.

    Parfois, la production a besoin d’une Carmen très dure, ou plus vulgaire, parfois juste joueuse ou seulement comique. J’essaie toujours de la montrer comme une gentille personne, une femme intelligente, forte, mais cela dépend aussi de mon Don José ; tantôt je suis vraiment forte en face de lui, tantôt je considère que Carmen est simplement une fille qui veut s’amuser avec les hommes pour se sentir heureuse.

     

    Pour rester dans le répertoire français, vous serez également à Paris l’an prochain dans une nouvelle production de Samson et Dalila, une prise de rôle pour vous.

    Oui. Je n’ai chanté jusqu’ici Dalila qu’en version de concert en 2011. Je suis très heureuse de chanter ce rôle en scène à Paris, c’est à la fois enthousiasmant et stressant, parce que la langue française est difficile et que nous sommes à Paris. Cela risque d’être très dur mais j’essaierai d’être la plus parfaite possible.

     

    Comment préparez-vous un tel rôle ?

    Il est important de travailler beaucoup en amont. Je ne parle pas seulement de la musique, mais aussi du caractère du personnage que je dois jouer. Dans le cas de Dalila, il y a aussi un travail énorme avec la langue française. J’ai beaucoup voyagé dernièrement et à chaque fois, j’essayais de trouver un professeur français dans les lieux où j’allais. Le fait de parler bien français aide à la vocalité du rôle. Il est très important d’entendre les mots, car chanter, c’est parler avec la musique. Il est donc nécessaire de parler pour que le public comprenne peut-être pas cent pour cent, mais au moins le sens de l’histoire. Lorsqu’on comprend, on ressent les émotions du texte que l’on porte.

     

    Écoutez-vous les références du passé pour préparer un rôle ?

    Jamais. Lorsque j’ai débuté en Carmen en 2009, mon coach m’a donné une règle fondamentale dont je me souviendrai pour toute ma carrière : ne jamais écouter d’enregistrements avant une prise de rôle. Car comme tous les chanteurs, j’ai des oreilles attentives, et je ne prendrais pas seulement les bonnes choses des autres, mais aussi les mauvaises. Il faut proposer quelque chose de personnel et de créatif, tel que c’est écrit sur la partition, sans les erreurs courantes que l’on trouve parfois dans la tradition. Après mes débuts, il m’arrive parfois d’écouter un enregistrement parce que je suis curieuse, mais jamais avant.

     

    Vous dites lire la musique, vous plongez-vous aussi dans le contexte et l’histoire de l’opéra que vous allez chanter ?

    Je lis tout ce que je peux trouver, toutes les informations autour de l’opéra. Parce que je pense vraiment qu’il est important de savoir comment et pourquoi le compositeur à un moment donné de sa vie a décidé d’écrire comme cela, quels étaient ses sentiments, son humeur du moment, son expérience de la vie. Prendre la partition et chanter, tout le monde peut le faire, mais un important travail contextuel est nécessaire.

     

    Vous évoquiez tout à l’heure le difficile public français concernant le texte, mais il y a pire avec les Italiens. Vous avez d’ailleurs déjà chanté Amnéris en Italie.

    L’italien n’est vraiment pas un problème pour moi car j’ai vécu en Italie très longtemps et je parle à peu près parfaitement cette langue. Mais pour vous répondre, je dois dire que le public français est plus difficile, parce qu’il est vraiment compliqué d’avoir une prononciation française parfaite, même pour un chanteur français. J’essaie de faire de mon mieux, mais lorsque j’ai commencé Carmen, les critiques les plus violentes venaient de la France. J’ai certainement fait des erreurs et je me souviens de textes vraiment durs sur le sujet. Après sept années à côtoyer le rôle, je pense que j’ai beaucoup progressé sur le texte, et j’espère que ce sera la même chose pour Dalila !

     

    Vous chantez Amnéris, Azucena, Lyubasha… En tant que mezzo, vous avez toujours le mauvais rôle !

    Je pense au contraire que c’est agréable. Amnéris par exemple est un très beau rôle, un personnage très intéressant, une femme forte que j’aime jouer. Elle est la fille d’un roi, elle a du pouvoir et est amoureuse. Je suis vraiment heureuse de jouer ce rôle pour mes débuts ici.

     

    Dans la production d’Olivier Py, quelle Amnéris êtes-vous ?

    Un personnage vraiment fort, peut-être un peu trop dur pour moi, et ce n’est pas vraiment dans ce sens que je comprends Amnéris. Ici, elle est amoureuse mais cruelle. Pour moi, c’est une femme forte, la fille d’un Pharaon, avec un grand pouvoir, mais pas une mauvaise personne. Elle veut l’homme qu’elle aime, mais elle sait que Radamès en aime une autre. Cela lui fait du mal, comme à toutes les femmes qui ne sont pas aimées en retour, donc elle a de la colère. Habituellement, mon Amnéris n’est pas si méchante avec Aïda, et comme je ne suis pas tout à fait convaincue par cette proposition, je vais tenter de montrer au public qu’elle n’est pas si mauvaise !

     

    Échangez-vous votre point de vue avec l’équipe de l’Opéra ?

    Bien sûr. Parler avec le chef est très important tant sur la musique que sur sa vision des personnages. Les chefs voient la musique d’un point de vue différent du vôtre. Il avait été passionnant de discuter avec Maestro Mehta autour d’Aïda à la Scala. Toutes les personnes autour de vous sont importantes et ont quelque chose à dire, parfois c’est intéressant, parfois non ! Mais il faut écouter et séparer les points de vue pour essayer de ne garder que le meilleur et proposer quelque chose de spécial à l’auditeur.

    J’ai deux amours comme metteurs en scène : Christopher Loy et Dmitri Tcherniakov. Nous avons fait avec ce dernier le Prince Igor au Met et la Fiancée du Tsar à Berlin. Avec eux et Emma Dante qui fit ma première Carmen pour La Scala, j’ai beaucoup appris sur l’actrice en scène ; pas sur la chanteuse en scène mais sur l’actrice sur les planches. Depuis, j’appréhende le chant autrement, et si un chanteur pense que le mouvement perturbe le chant, je pense au contraire que le mouvement donne la véritable émotion exprimée sur scène. À chaque fois que j’ai fait cela, il était plus simple de chanter.

     

    Vous n’avez jamais chanté sur scène aux côtés de Sondra Radvanovsky ?

    Jamais. Je la connais car nous avons donné quelques concerts ensemble dans le passé, mais c’est la première production scénique que je fais avec elle. Je suis très heureuse car c’est une de mes sopranos préférées, je l’ai souvent entendue au Met et à Toronto, ce sera un plaisir de chanter avec elle.

     

    Chantez-vous d’autres rôles verdiens qu’Amnéris ?

    Pas encore, mais je vais faire mes débuts en Azucena en décembre à Covent Garden, dans la reprise de la production du Trouvère qui commence en ce moment. Je pense aussi à Eboli dans Don Carlo pour laquelle j’ai un projet dans l’avenir. Je n’ai que trente-et-un an, j’ai donc du temps pour découvrir d’autres rôles.




    À voir :
    Aïda de Verdi, mise en scène Olivier Py, direction Daniel Oren, Opéra Bastille, du 13 juin au 16 juillet.

     

    Le 13/06/2016
    Vincent GUILLEMIN


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