Concevoir un opéra inspiré des Ailes du désir, célèbre long-métrage de Wim Wenders récompensé du Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 1987, est à la fois une entreprise naturelle et un projet fou. Contant la fascination d’un ange (Bruno Ganz) pour les mortels en général et une jeune trapéziste en particulier, ce film est déjà une forme d’opéra en lui-même, où la musique est omniprésente (celle du cirque, celle de la vie nocturne berlinoise…), où le thème de l’enfance revient comme une ritournelle, où le temps se fige comme dans des arias pour donner à entendre les pensées des hommes et des femmes que l’ange immortel écoute. Mais l’œuvre de Wenders est aussi un chef-d’œuvre silencieux, où les images, les regards, les plans, les couleurs, le décor immense de Berlin filmé sous tous les angles ont la même importance que les sons et les discours.

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Les Ailes du désir à Angers Nantes Opéra
© Christophe Raynaud de Lage

Comment le compositeur Othman Louati et la librettiste Gwendoline Soublin allaient-ils faire décoller ces Ailes de l’écran à la scène ? C’est ce qu’ont découvert les spectateurs du Théâtre Graslin, à Nantes, où ce projet produit par la co[opéra]tive s’est installé pour deux représentations après avoir voyagé depuis le début de la saison dans une quantité de théâtres, opéras et autres scènes nationales en région.

Une des forces de l’ouvrage est d’avoir réussi à rester fidèle à l’esprit de l’œuvre originale, au-delà de la forme globale et de la reprise de certaines scènes et mots du film. Avec ses jeux de timbres et d’échos électro, sa vocalité épurée, ses polyphonies chuchotées, ses séquences planantes, la musique de Louati parvient à installer une mélancolie contemplative et à introduire le spectateur dans cet étonnant double monde mi-humain mi-divin. Anges et humains sont différenciés par une belle idée, signée Johanny Bert, à l’initiative du projet : l’utilisation de marionnettes de taille quasi humaine, toutes associées à leur carré de décor personnalisé, ce qui permet de voler à tire-d’aile d’un lieu à un autre. Dans le dernier tiers de l’œuvre, quand l’ange Damielle finit par s’incarner et devient mortelle parmi les mortels, le remplacement des marionnettes par les chanteurs qui les doublaient produit un basculement comparable au passage du noir et blanc à la couleur dans le film de Wenders.

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Les Ailes du désir à Angers Nantes Opéra
© Christophe Raynaud de Lage

Musicalement, Louati manie une pluralité d’esthétiques qui, là aussi, s’inspire des Ailes originelles et apporte une variété efficace à l’heure et demie que dure la représentation : pleine d’humour, la séquence au cirque Alekan donne lieu à une musique de scène irisée par les sonorités enfantines d’un toy piano ; le dénouement de l’ouvrage est une plage post-rock étirée d’une grande beauté ; quant au sommet expressif, il survient plus tôt quand le souffle de l’ange Damielle s’éteint sur les mots répétés de « Potsdamer Platz », presque à la manière du « ewig », l’appel à l’éternité du Chant de la terre mahlérien.

Pour entretenir le souffle poétique pendant toute la durée de l’ouvrage, il manque toutefois un peu de rythme à l’ensemble qui s’enlise de temps à autre. Là où la caméra de Wenders savait garder en éveil l’œil du spectateur en variant les plans, la mise en scène de Grégory Voillemet reste dans une uniformité sombre qui rend parfois l’ouvrage plus aride qu’onirique. Et si le livret sait se détacher du film pour gagner en personnalité, il est souvent plus allusif que narratif, parfois difficilement compréhensible si l’on n’a pas le film en tête, ce qui n’aide pas à s’immerger dans le monde de Wenders-Louati.

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Camille Merckx (Marion) et Marie-Laure Garnier (Damielle)
© Christophe Raynaud de Lage

La cohésion de l’interprétation est en revanche à saluer sans réserve : sous la direction souple de Fiona Monbet, les treize musiciens de l’ensemble Miroirs Étendus et les sept chanteurs montrent l’engagement d’une troupe constituée qui s’est pleinement appropriée le langage de cette création. Marie-Laure Garnier rayonne dans le rôle principal de l’ange Damielle, venant à bout sans peine des larges intervalles qui ponctuent la partition. Romain Dayez donne une personnalité touchante au personnage de l’ange Cassiel avec son timbre de baryton doté de beaux aigus, tandis que les graves chaleureux de la mezzo-soprano Camille Merckx apportent de la profondeur à son rôle de trapéziste entre ciel et terre. Avis aux amateurs : la prochaine escale de ces Ailes du désir est prévue à l’Opéra de Rennes la semaine prochaine.


Le voyage de Tristan a été pris en charge par Angers Nantes Opéra.

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