Dernier opéra de Charles Gounod, Le Tribut de Zamora connut un grand succès lors de sa création en 1881 à l’Opéra de Paris (une cinquantaine de représentations sur deux saisons), avant de tomber dans un profond oubli. C’est le Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française qui a réveillé la belle endormie en 2018 à Munich, avec la réalisation d’un enregistrement. Mais c’est bien l’Opéra de Saint-Étienne qui en propose à présent une représentation scénique, plus de 140 ans après la précédente.

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Le Tribut de Zamora à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

On peut résumer brièvement l’intrigue de cet opus méconnu : l’orpheline Xaïma et Manoël s’aiment dans l’Espagne sous occupation arabe du IXe siècle, mais Ben-Saïd vient réclamer vingt vierges à la ville d’Oviedo, en vertu du traité signé à Zamora après la défaite des chrétiens, soit le « Tribut de Zamora » du titre. Ben-Saïd tombe fou amoureux de Xaïma et se montre inflexible, même si son frère Hadjar a été sauvé par Manoël dans le passé. L’intervention d'Hermosa, une femme folle qui retrouve la raison en reconnaissant sa fille en Xaïma, permettra un heureux dénouement grâce à la mort du méchant.

La réalisation visuelle de Gilles Rico s’écarte très fortement du livret en déplaçant l’action à Paris au XIXe siècle. Plus précisément, il axe sa proposition autour de la figure de Xaïma, qui vit cette histoire comme un cauchemar ou une crise hallucinatoire. À l’époque du docteur Charcot qui étudie l’hystérie sur des patientes à l’hôpital de la Salpêtrière, la pauvre Xaïma est ici sujette à hypnoses, anesthésies avec chloroforme, diverses observations de la part du corps médical, sans oublier la prise de photographies qui documentent ces séances souvent publiques.

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Le Tribut de Zamora à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Si ce concept original retient certes notre attention, il n’est sans doute pas le plus approprié pour illustrer ce grand opéra en quatre actes. Dans des décors et costumes où le noir domine, on y perd en effet en couleurs locales : les Espagnols ont disparu, tout comme l’occupant arabo-musulman, ainsi qu’Oviedo, les rives de l’Oued El-Kédir près de Cordoue, ou encore le palais de Ben-Saïd. Le son jure également régulièrement avec l’image, ne serait-ce que dans la scène introductive où les villageois se réjouissent du mariage à venir tandis que Xaïma repose dans son lit comme morte. On se dit par ailleurs qu’un tel traitement pourrait s’appliquer à nombre d’autres opéras... Pourquoi pas à La traviata de Verdi ou La sonnambula de Bellini ?

L’oreille est en revanche à la fête avec une distribution vocale, presque entièrement francophone, qui se montre à la hauteur de l’événement. Chloé Jacob et Léo Vermot-Desroches forment un très crédible couple d’amoureux Xaïma-Manoël, respectivement soprano émouvante et à la fine musicalité, et ténor magnifiquement projeté, d’une qualité homogène sur l’étendue et à la diction claire. Alors qu’il chantait le Roi dans l’enregistrement précité, on admire toutes les qualités de Jérôme Boutillier qui défend le rôle bien plus développé du méchant Ben-Saïd. Le baryton conduit sa ligne vocale avec une rare élégance et un grain riche, l’acteur appuyant plutôt le côté cynique du médecin qui fait souffrir sa patiente – cobaye Xaïma, mais sujet aussi par séquences à la violence physique.

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Le Tribut de Zamora à l'Opéra de Saint-Étienne
© Cyrille Cauvet

Autre rôle majeur, Hermosa est tenue par Élodie Hache, soprano dotée d’une largeur de voix et d'un petit vibrato qui apportent une dimension dramatique supplémentaire à l’action sur scène. Troisième soprano, Clémence Barrabé tient avec une mélancolie sombre et touchante le rôle plus modeste d’Iglésia. Côté masculin, Mikhail Timoshenko incarne Hadjar, voix robuste et superbement timbrée, dans une diction appliquée, le plateau étant complété par le ténor Kaëlig Boché, instrument vaillant dans ses interventions.

Du point de vue musical, l’auditeur familier de Gounod se trouve en terrain connu, avec de nombreux échos voire parfois comme de fugaces citations de ses trois opéras les plus connus, Faust, Roméo et Juliette et Mireille. Déjà à la direction musicale du livre-disque du Palazzetto, le chef Hervé Niquet sert avec ardeur et passion cette composition, tout en facilitant la tâche des artistes sur scène en gardant le volume sous contrôle. On s’en aperçoit d’ailleurs à l’écoute des dernières mesures lorsqu’il fait jouer à plein régime un Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire absolument excellent techniquement. Le Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire très en voix et bien coordonné participe à cette réussite collective.


Le déplacement d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Saint-Étienne.

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