La Scala de Milan redécouvre La Rondine

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Pour la troisième fois seulement, la Scala de Milan propose La Rondine de Puccini dont l’Opéra de Monte-Carlo avait assuré la création le 27 mars 1917 en y affichant Gilda Dalla Rizza et Tito Schipa sous la direction de Gino Marinuzzi. Et c’est lui qui avait décidé de la présenter sur la scène milanaise le 24 janvier 1940 en n’en donnant que trois représentations avec Mafalda Favero et Giovanni Malipiero. Il faudra attendre cinquante-quatre ans pour la revoir en février 1994 lorsque Gianandrea Gavazzeni dirigera Denia Mazzola et Pietro Ballo dans la production de Nicolas Joël. 

En cette année 2024 où l’on commémore le centenaire de la mort de Giacomo Puccini, Riccardo Chailly se fait un point d’honneur de révéler cette Rondine selon l’édition critique de 2023 réalisée par Ditlev Rindom d’après une partition autographe antérieure à la première monégasque, retrouvée par Ricordi dans les archives de Torre del Lago. Par rapport à l’édition courante, elle comporte notamment 87 mesures supplémentaires et une instrumentation plus fournie au niveau percussion et timbales avec des trombones particulièrement mis en relief au troisième acte. Selon Riccardo Chailly interviewé par Elisabetta Fava pour la Rivista del Teatro, l’ouvrage trouve sa véritable dynamique par certaines danses telles que le quick step, le tango, la polka, le slow fox et la valse qui apparaît douze fois, occasionnant même un coup de timbale qui serait un hommage tant à Der Rosenkavalier qu’à Die Fledermaus. Le maestro prête aussi attention à la combinaison de timbres insolites que Puccini concocte en utilisant abondamment au deuxième acte la harpe, le célesta, le glockenspiel et même une basse de carillon non existante que les instrumentistes de la Scala tentent de suggérer. Du reste, il faut bien reconnaître que dans ce spectacle, l’orchestre est le principal protagoniste, quitte à couvrir parfois le plateau vocal qui doit en surpasser le mur sonore. Mais l’effet escompté de cette rutilance du canevas est payant, preuve en est donnée par les applaudissements délirants a scena aperta (à rideau ouvert) à la suite du concertato avec chœur « È il mio sogno che s’avvera! ».

Sur scène, Mariangela Sicilia campe Magda en devant tenir compte d’un bas medium que la tension de la première rend sourd et qui fait tomber à plat le célèbre Sogno di Doretta. Mais le recours à des aigus savamment filés assure progressivement ses moyens vocaux en contribuant à la crédibilité d’un personnage qui édulcore le côté grisette de la femme entretenue pour acquérir une dimension bouleversante au troisième acte où elle assume le sacrifice de son amour. Le ténor Matteo Lippi lui donne la réplique avec un Ruggero taillé à coup de serpe qui, sous la carapace du costaud, laisse affleurer le désarroi du premier amour trahi avec la solidité de métal d’un futur lirico spinto. Son collègue Giovanni Sala en est l’exact opposé avec un Prunier roublard qui arbore velours rouge pour jouer les entremetteurs, usant de la vaste palette des coloris du timbre face à la pétulante Lisette de Rosalia Cid, nouvelle Musetta à la diction claire, à l’aigu brillant et à la précision rythmique ahurissante. Sosie d’Alcindoro, Pietro Spagnoli personnifie le vieux beau Rambaldo avec la noble assurance de l’âge. Aleksandrina Mihaylova, Martina Russomanno et Andrea Nino assument avec gouaillerie le trio des amies de Magda, Yvette, Blanche et Suzy, tandis que quinze des artistes du Chœur et de l’Ecole de chant de la Scala se chargent des rôles secondaires. Et comme toujours, l’ensemble du Chœur préparé par Alberto Malazzi est d’une remarquable efficacité.

Quant à la mise en scène d’Irina Brook, mal accueillie par quelques tifosi outrés le soir de la première, elle décide de transposer l’action dans les années quarante en demandant à son décorateur et costumier Patrick Kinmonth, à son éclairagiste Marco Filibeck et à son chorégraphe Paul Pui Wo Lee de la rapprocher de l’esthétique de la comédie musicale. A défaut de salon parisien du Second Empire ou de Bal Bullier, nous voici spectateurs d’un petit théâtre des bords de mer où a lieu la répétition générale d’un show qui tourne à la débandade en dépit des injonctions de la régisseuse de scène (Anna Olkhovaya) qui est aussi l’alter ego de Magda. Le deuxième acte se déroule dans sa maison où elle semble sortir de ce cauchemar, tandis que les arcades de scène s’illuminent pour un spectacle réussi que plébiscite la foule, admirant particulièrement le défilé de mannequins échappés de My Fair Lady portant mousseline et capelines de couleurs vives. Comme prévu par le livret, le dernier acte a pour cadre une terrasse d’un hôtel de la Côte d’Azur. Prête à sourire cette imitation d’une toile de Raoul Dufy où le clapotis des vagues fait émerger quelques nymphettes en costume de bain commentant le passage d’un bateau à aubes. Mais la dernière scène confrontant Ruggero à la dure réalité d’une union impossible redonne un impact à cette trame s’achevant par une sortie sans issue qui rend muette la dizaine de clients de ce palace. Donc pas de quoi fouetter un chat qui ne justifie en rien les huées de quelques mécontents ! Au rideau final, le public applaudit avec transport l’ensemble du plateau et le maestro Chailly, instigateur de cette résurrection. 

Milan, Teatro alla Scala, le 4 avril 2024

Crédits photographiques : Brescia/Amisano – Teatro alla Scala

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