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Pastiche révolutionnaire

Bruxelles
La Monnaie
03/22/2024 -  et 24*, 26, 29 mars, 3, 6 avril 2024
Rivoluzione e Nostalgia : « Rivoluzione » (création)
Enea Scala (Carlo), Vittorio Prato (Giuseppe), Justin Hopkins (Lorenzo), Nino Machaidze (Laura), Gabriela Legun (Cristina), Hwanjoo Chung (Arminio)
Académie des Chœurs de la Monnaie, Chœurs de la Monnaie, Emmanuel Trenque (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Carlo Goldstein (direction musicale)
Krystian Lada (script, mise en scène, décors, vidéo), Adrian Stapf (costumes), Aleksandr Prowalinski (lumières), Michiel Vandevelde (chorégraphie)


(© Karl Forster)


La Monnaie s’écarte de nouveau des conventions. Il y a un an, le théâtre royal avait produit Bastarda, un spectacle en deux parties constitué d’extraits de quatre opéras de Donizetti. Voici un autre diptyque, cette fois consacré à Verdi, mais en multipliant les sources par quatre. Dans Rivoluzione e Nostalgia, le metteur en scène, Krystian Lada, ancien dramaturge de la Monnaie, aussi en charge de la communication et du développement du public, et le chef, Carlo Goldstein, ont conçu un double spectacle, formé de pages issues des seize premiers opéras du compositeur, d’Oberto (1839) à Stiffelio (1850).


Ce pastiche, terme expressément et pertinemment utilisé par la Monnaie, raconte une nouvelle histoire, mais la musique de Verdi ne présente aucune modification. Le premier volet, « Rivoluzione », qui adopte en trois actes la trame caractéristique de nombre d’ouvrages de jeunesse du maître, montre des personnages assez archétypaux, passionnés et/ou tourmentés, confrontés à des événements historiques et politiques qui les dépassent. En l’occurrence, la première partie se déroule durant les émeutes de mai 1968, avec des jeunes gens amoureux et idéalistes. Dans la seconde, « Nostalgia », qui se passe quarante ans plus tard, la plupart des personnages reviennent sur ce passé.


Les trois actes de « Rivoluzione » portent des titres éloquents, « L’université », « La rue », « La barricade », ce qui se reflète dans le dispositif imaginé par Krystian Lada, recourant également à la vidéo qui joue un rôle important, avec des images d’archives et un montage inédit montrant les personnages, certains s’exprimant le visage face à la caméra, comme dans un documentaire. Il s’agit d’un agencement assez habile, même si les extraits des livrets originaux ont dû faire l’objet de quelques petites adaptations, ne serait‑ce que pour correspondre au nom des personnages inventés. Le metteur en scène a de plus rédigé des dialogues parlés, essentiellement pour les films projetés, non sans quelques trivialités, en particulier lors des échanges tendus pour cause de conflits amoureux.


Dans ce spectacle, qui mêle ainsi trois disciplines, l’opéra, le théâtre musical et le cinéma, ce n’est pas le dispositif scénique qui intéresse le plus, même si le choix des éclairages attire l’attention, surtout l’utilisation du rouge, mais plutôt l’originalité du concept, ainsi que sa mise en œuvre, en dépit d’une fin de deuxième acte volontairement grotesque, ou parodique, à cause de ces têtes géantes de révolutionnaires connus, seul moment où la mise en scène pèche par excès d’intentions. Le spectacle intègre aussi la danse, en l’occurrence une troupe de hip‑hop, un genre d’expression artistique qui a commencé, justement, à se développer à partir de la fin des années 1960, sans contresens historique, donc. Le recours, selon nous complaisant, à ces artistes de complément semble toutefois, et avant tout, une stratégie de communication pour attirer l’attention de médias qui ne parlent habituellement pas, ou très peu, d’opéra. L’apport réel de cette chorégraphie nous paraît en effet ténu.


Il ne faut pas négliger la valeur musicale de ces opéras de jeunesse, même si certains présentent un intérêt et un potentiel dramaturgiques moindres que ceux de tous ces ouvrages de Verdi bien plus souvent montés. La future directrice, Christina Scheppelmann, ferait d’ailleurs bien de programmer un de ces opéras plus rares en version de concert, comme La battaglia di Legnano, I Masnadieri ou Giovanna d’Arco. Que l’on adhère à ce projet ou pas, il convient de reconnaître l’important travail de conception et d’écriture, et la qualité élevée de la réalisation, une constante à la Monnaie. La mise en scène de Bastarda, autrement plus belle, laissait toutefois une plus grande impression de perfection, et suscitait un enthousiasme total après la première partie, autre contraire de celle‑ci. Nous attendons toutefois d’assister à la seconde partie afin de mieux en mesurer l’intelligence et la pertinence.


Le volet musical n’encourt aucun reproche majeur, à commencer par la direction remarquable de Carlo Goldstein à la tête d’un orchestre ferme et précis, capable d’autant d’éclat que de nuance. Les choristes, fort sollicités, paraissent bien préparés par Emmanuel Trenque. La distribution, resserrée sur cinq personnages importants, fait montre d’une sérieuse dose de conviction et procure de nombreux et beaux moments de chant, emplis d’ardeur et de passion. Pour Carlo, ouvrier sur un chantier naval et boxeur amateur, la Monnaie a choisi Enea Scala, ténor à la voix éclatante et pleine de santé, au chant plus puissant que nuancé, mais toujours net, voire mordant. Le chanteur, qui était Leicester dans Bastarda, arbore en plus une plastique – vraiment – avantageuse, notamment lorsqu’il apparaît, peut‑être aussi complaisamment, torse nu, ce qui est probablement de nature à ravir bien des personnes dans la salle. En Giuseppe, étudiant en ingénierie, et aussi boxeur amateur, Vittorio Prato affiche plus de style et de raffinement.


La sœur de Giuseppe se prénomme Laura, une étudiante en violon attirée par Carlo, de plus en plus radicalisée à la tête de la révolution, malgré un père – qui n’est pas un chanteur, alors que les figures patriarcales sont nombreuses dans les opéras de Verdi, mais un acteur dans le film – occupant une fonction importante dans la police. Pour l’incarner, il fallait bien la voix puissante et expressive de Nino Machaidze. Autre femme, plus discrète, mais marquante, grâce au talent de son interprète, Cristina étudie le cinéma. Dans le cadre de ses études, elle réalise un film documentaire sur les protestations ouvrière et étudiantes, en plus de former un couple avec Giuseppe, tout en ayant... une relation avec Carlo, afin d’encore mieux corser le récit. La prestation fine et maîtrisée de Gabriela Legun constitue la grande révélation de ce premier volet. Voilà assurément une jeune soprano dont il convient de suivre le parcours artistique avec intérêt. N’oublions pas Lorenzo, le petit ami de Laura, lui aussi étudiant, mais en piano jazz, fort engagé politiquement et visiblement tout aussi physiquement avantagé que Carlo : c’est Justin Hopkins, fort bon chanteur à la mâle assurance. Et dans le tout petit rôle d’Arminio, enfin, citons Hwanjoo Chung, issu des chœurs.



Sébastien Foucart

 

 

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