Puccini au Festival Lyrique de Lyon : Love story au Far West
Retransmission France Musique, le samedi 27 avril 2024 à 20h :
Dans une rude Californie, celle des montagnes où il neige aussi, vivent des hommes réunis par l’attrait de l’or, pour lequel ils ont délaissés leurs proches. Une communauté d’hommes pauvres, déracinés, en quête d’un rêve « américain » sans doute illusoire, d’hommes seuls, inquiets, brutaux aussi, avec « les autres », indiens ou mexicains (la distribution en a ici tenu compte), rapides à s’énerver et à punir ceux qui transgressent les règles du lieu... mais des hommes attendris, "socialisés" par la présence maternante de Minnie, "La Fille du Far-West", qui, dans son bar les réunit, les console, leur lit la bible, les protège. Elle est à la fois la femme désirée, mais respectée, aimée profondément en retour de l’humanité dont elle fait montre toujours envers tous, elle est, comme l’or, une figure de l’espoir... Elle sait se faire respecter quand l’un ou l’autre dépasse les limites, le shérif par exemple, elle sait aussi manier les armes. Dans cet univers hostile, elle choisit, décide, et parvient à ses fins.
Ce western Hollywoodien avant l’heure, avec ouverture pétaradante, reçoit de la metteuse en scène Tatjana Gürbaca une lecture efficace, renonçant à l’exotisme facile de l’imagerie clichée et clinquante du Far West. Les décors de Marc Weeger montrent un lieu neutre, ouvrant vers un ciel encombré, parfois sombre et souvent dans de flamboyantes couleurs chaudes. Au milieu, un dispositif tournant, avec un grand comptoir, pouvant figurer le bar ou, à l’acte 3, un lieu neutre dans le désert (plus une sorte de kiosque à l’ancienne, entouré de rideaux mobiles, la "cabane" de Minnie dans la montagne). Les costumes de Dinah Ehm contribuent à raconter l’histoire : les mineurs sont des hommes à la vie dure, ils sont habillés un peu en référence au tableau figurant des travailleurs italiens, de Giuseppe Pellizza da Volpedo, qui a inspiré Bertolucci dans son film 1900.
Des costumes de travailleurs, abimés, sales parfois, comme les corps et les visages, se démarquent : Ashby le chasseur de prime élégant venu gagner de l’argent sur le malheur d’autrui, le shérif revêtu lui d’un ample manteau de fourrure, Johnson le bandit au grand cœur qui fera chavirer Minnie (lui aussi élégant car il vient de la ville) et Minnie enfin, vêtue de doré dans le bar puis en tenue de cowboy pour in fine délivrer son amoureux et fuir avec lui vers un horizon meilleur. Les lumières de Stefan Bolliger épousent elles aussi le fil de l’histoire, nimbant de manière dramatisante les décors.
L’Orchestre de l'Opéra national de Lyon sous la direction de son chef Daniele Rustioni sait faire sonner et évoluer cette belle prose musicale avec passion, fougue, mais aussi tendresse et subtilité, en soutien efficace des chanteurs.
La direction d’acteurs, sans faille, est tournée vers la perpétuelle lisibilité de l’action. Le Chœur d’hommes, préparé par Benedict Kearns, joue pleinement un jeu scénique presque chorégraphié, donnant l’occasion à de beaux tableaux vivants (avec quelques superbes arrêts sur image), et délivrant efficacement ses parties.
Kwang Soun Kim, membre du chœur, incarne ici avec sa très belle voix de basse, assez sonore et projetée, le petit rôle de Billy Jack Rabbit, un amérindien amoureux de Wowkle, la domestique de Minnie, et assez malmené par les mineurs.
Didier Roussel, ténor également du chœur, livre une voix de Postillon convaincue dans son très petit rôle. Paolo Stupenengo, basse appartenant au chœur, campe José Castro (métis-mexicain du gang de Ramerrez), à la hauteur avec une efficace et un jeu investi.
Le baryton Paweł Trojak, soliste du Lyon Opéra Studio fait de la ballade de Jack Wallace, une bulle de poésie dans ce monde brutal, avec une jolie voix, veloutée, caressante et captivante.
Les huit rôles mineurs de mineurs chercheurs d’or sont, à deux exceptions près, tenus par de jeunes chanteurs aux voix de format un peu léger par rapport à l'orchestre. Le baryton Florent Karrer propose un Happy impliqué théâtralement, mais à la voix assez effacée dans ce contexte musical. Le baryton Ramiro Maturana incarne Bello, l’un des mineurs avec une relative discrétion tant scénique que vocale. Léo Vermot-Desroches est Harry, l’un des mineurs, avec sa jolie voix de ténor léger, claire et fine, avec un jeu théâtral efficace. Matthieu Toulouse met sa petite voix de baryton au service de Sid, un mineur surpris à tricher aux cartes et quasi lynché. La voix est assez présente lors de ses rares interventions solo, et couvertes le reste du temps. Dans le rôle de Joe, Valentin Thill a une présence remarquée mais une voix trop souvent couverte par le chœur ou l’orchestre. Le ténor de caractère Zwakele Tshabalala, en Trin un des mineurs actifs, donne à entendre une intervention soliste assez efficace, avec une voix projetée et expressive. Pete Thanapat, basse de l'Opéra Studio maison incarne Larkens, un des mineurs, "malade du pays", et délivre sa lamentation avec une voix sonore et bien caractérisée. Allen Boxer déploie son baryton sonore en Sonora, un des mineurs qui pense être le favori de Minnie. Sa présence forte et l'allure de son chant de grande tenue le distinguent des autres chercheurs d’or, dans un rôle de fait plus développé.
Thandiswa Mpongwana, mezzo soliste du Studio, offre une luxueuse Wowkle (domestique de Minnie et compagne de Billy), avec sa belle voix sombre, profonde, au timbre captivant. Sa berceuse est également une bouffée de poésie.
Rafał Pawnuk met sa voix de basse de moyen format mais bien projetée au service d’Ashby, le détestable agent de la Compagnie Wells Fargo, une sorte de chasseur de prime. Il sait par son jeu et sa voix rendre efficacement toute la veulerie du personnage.
Robert Lewis, ténor de format plutôt mozartien, incarne toutefois efficacement Nick, le serveur du Bar « Zur Polka » appartenant à Minnie. La voix est projetée, claire, la diction parfaite. Le personnage, qui est un peu un intermédiaire essayant de calmer les situations, est bien campé théâtralement et vocalement.
Claudio Sgura s'investit dans le rôle de Jack Rance le shérif d'un baryton à la voix sonore, étendue, avec des graves emplis de superbe et des aigus pleins de véhémence. L’artiste sait caractériser le personnage complexe, par des couleurs alternant la séduction, la muflerie, la colère, la rage vindicative, et le dépit (car Minnie ne l’aime pas).
Le ténor Riccardo Massi incarne Dick Johnson alias Ramerrez recherché par tous, et qui va être rédimé par l’amour réciproque qu’il porte à Minnie. La voix est très naturelle, aisée, sonore de part en part. Le timbre séduisant de cet italien est solaire, avec une sorte de mélancolie latente (presqu'argentine), conférant à ses aigus un caractère rare. Son aria finale est pleine de poésie et de densité dramatique.
Chiara Isotton triomphe en Minnie, tant dans la fiction qu’auprès du public. Le rôle intense lui permet de faire entendre diverses facettes de son talent. La voix est très sonore, bien projetée, avec un parfait mixage vers le grave et des sons de poitrine très expressifs. Les aigus sont flamboyants. Le timbre assez rond, est parfois blanchi pour caractériser sa jeunesse et sa candeur amoureuse. Elle devient bravache, guerrière quand il s’agit de défendre son amour et sa deuxième chance.
Le public fait un triomphe à cette production sensible et raffinée, échappant aux clichés, et conférant à cette œuvre une dimension humaine universelle.
Rendez-vous également sur Classykêo pour un compte-rendu prochain de cette production et sur Ôlyrix pour la suite de ce Festival d'Opéra Lyonnais