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Atys revisité par le Centre de Musique Baroque de Versailles : de la musicologie à l’émotion

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Avignon. Opéra Grand Avignon. 10-III-2024. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys, tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Mathias Vidal, Atys. Véronique Gens, Cybèle. Sandrine Piau, Sangaride. Tassis Christoyannis, Célénus. Hasnaa Bennani, Doris. Virginie Thomas, Flore. Eléonore Pancrazi , Melpomène, Mélisse. David Witczak, Le Temps, Le Fleuve Sangar. Adrien Fournaison, Idas/Phobétor. Antonin Rondepierre, Zéphyr, Morphée. Ballet de l’Opéra Grand Avignon, Victor Duclos, chorégraphie. Les Pages et les Chantres du CMBV (chef de chœur : Fabien Armengaud). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie. direction musicale : Alexis Kossenko

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Cette première représentation d'Atys sous la direction musicale d' est le fruit de plusieurs années de recherche au plus près des sources de l'époque de Lully.

Jamais le terme « historiquement informé » n'aura été si justement appliqué à une production. Après avoir examiné les sources pour découvrir de nouveaux répertoires, le CMBV s'attache désormais aux problématiques de l'interprétation. Sous la direction scientifique de Benoît Dratwicki, une équipe de chercheurs s'est appuyée sur le livret de la création de l'œuvre en 1676 pour interroger le contexte de l'époque : choix des voix solistes, composition de l'orchestre, rôle des chœurs, ornementation … L'organologie n'est pas en reste dans cette démarche, puisqu'un consort de hautbois et une basse de cromorne ont été reconstruits pour l'occasion. La synthèse de ces recherches est compilée dans un volumineux et passionnant Carnet de bord édité par le Centre. Et elle donne naissance à une performance practice qui fait dialoguer chercheurs et interprètes tout au long du processus de restitution. On dispose de nombreux témoignages qui disent que les interprétations des opéras évoluaient au fil des reprises, à la cour ou à la ville, du vivant de Lully ou après sa mort. La version de 1676 n'est donc qu'une version parmi d'autres à l'époque.

La première question qui se pose est : pourquoi appliquer cette démarche à Atys, œuvre si bien servie par de nombreuses productions dans le paysage lullyste de ces trente dernières années ? (Christie, bien sûr, mais aussi Reyne, Garcia Alarcon et Rousset, dont nous avons beaucoup apprécié le récent enregistrement…) La production de 1987 de Christie/Villégier/Lancelot demeure la pierre angulaire de la redécouverte de l'opéra lullyste, emblématique du renouveau baroque en France. Elle s'est imposée comme une référence à nos oreilles. Appliquer à cette œuvre ce retour aux sources, c'est à la fois prendre un risque et se poser de nouvelles questions, nous dit Benoît Dratwicki. Pour l'auditeur, une des différences les plus marquantes concerne l'orchestre : jamais, à l'époque, on ne mélangeait les instruments à vent (flûtes, hautbois…) aux cordes dans la fosse d'orchestre. Pour accompagner les danses, le consort de hautbois se tient sur la scène, selon une configuration issue du ballet de cour, et c'est la même chose pour les flûtes dans les scènes de Sommeil. En fosse, on a restitué l'effectif des Vingt-quatre Violons du roi, et pour la basse continue : un clavecin, deux théorbes, deux basses de violon et deux basses de violes (jouant harmoniquement), ce qui constitue un continuo « musclé ».

Reste la question de la distribution vocale. Chaque chanteur doit posséder des caractéristiques propres à servir au mieux le caractère du personnage. On connait par le livret tous les détails de la distribution, et on découvre que des enfants sont présents dans les chœurs. Ici, le chœur est composé des Pages et des Chantres du CMBV, dirigés par , faisant preuve d'une très belle articulation et intervenant en groupes d'effectif variable. Quant aux solistes, ils sont choisis au plus près du caractère-type de chaque personnage. Cybèle doit avoir un riche médium, une voix puissante et expressive : elle est incarnée par la grande (qui fit ses débuts dans les productions d'Atys au sein  des Arts Florissants en 1987 !). Le rôle d'Atys est ici confié au ténor . Sangaride a une voix claire, brillante et touchante : c'est qui lui prête la souplesse de sa voix. Selon les directives de Lully, l'ornementation est sobre, sans diminutions, de nombreux témoignages de l'époque en attestent. Le débit des récitatifs est fluide, le tempo assez rapide, proche de celui de la conversation.

La production qui est proposée ici est une version de concert augmentée d'un ballet moderne. C'est bien là la limite de l'opération : comment ne pas regretter l'époque où on pouvait s'offrir la mise en scène de Jean-Marie Villégier et les costumes flamboyants de Patrice Cauchetier ? Ici, les déclarations d'amour que Sangaride et Atys adressent à leurs pupitres ont du mal à nous toucher. Seule la Cybèle de arrive à transcender les conditions du plateau par une présence scénique naturelle. Sa voix bien projetée passe facilement la barrière d'un continuo très fourni. Elle nous propose une déesse plus humaine que rigoureuse, infiniment touchante. campe un Atys un peu fallot. est très bien dans le beau rôle de Sangaride, ainsi que dans celui de la suivante Doris. Chez les hommes, citons en Idas et en Zéphyr et Morphée. manque un peu de coffre dans le rôle du fleuve Sangar, et l'air du chœur « Que l'on chante, que l'on danse » peine à passer par-dessus l'orchestre. Le tempo un peu rapide de certains airs, comme « Espoir si cher et si doux » de Cybèle ou « Revenez ma raison » de Sangaride, nuit parfois à l'émotion. L'orchestre Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie offre une belle prestation sous la direction très ample d'. Le continuo bénéficie de la grande inventivité de Béatrice Martin au clavecin. Cependant, la présence de douze danseurs du Ballet de l'Opéra Grand Avignon pose le paradoxe de cette production. Qu'apporte cette chorégraphie moderne, là on l'on attend la danse baroque qu'avait si bien su recréer Francine Lancelot ? Au moment tant attendu des scènes de Sommeils, l'apparition des danseurs dans un ridicule costume évoquant plus la plage que le monde onirique des Songes laisse perplexe. Tant d'efforts pour retrouver la précision de l'époque ne sont-ils pas contredits par ces divertissements anachroniques ? La même question se pose pour la prononciation du texte de Quinault, dont on sait pourtant aujourd'hui restituer la saveur de l'époque.

Le sommet de l'art, c'est de faire oublier la technique pour ne garder que l'émotion. L'information historique ne vaut que si elle est au service de l'expression, et c'est, à quelques réserves près, le pari gagné de cette production.

Crédits photographiques : © Studio Delestrade- Avignon (générale)

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Avignon. Opéra Grand Avignon. 10-III-2024. Jean-Baptiste Lully (1632-1687) : Atys, tragédie en musique en un prologue et cinq actes. Mathias Vidal, Atys. Véronique Gens, Cybèle. Sandrine Piau, Sangaride. Tassis Christoyannis, Célénus. Hasnaa Bennani, Doris. Virginie Thomas, Flore. Eléonore Pancrazi , Melpomène, Mélisse. David Witczak, Le Temps, Le Fleuve Sangar. Adrien Fournaison, Idas/Phobétor. Antonin Rondepierre, Zéphyr, Morphée. Ballet de l’Opéra Grand Avignon, Victor Duclos, chorégraphie. Les Pages et les Chantres du CMBV (chef de chœur : Fabien Armengaud). Les Ambassadeurs-La Grande Ecurie. direction musicale : Alexis Kossenko

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