A Strasbourg, le Lohengrin bel cantiste de Michael Spyres

- Publié le 13 mars 2024 à 10:40
Si, faute de théâtre, la production déçoit, Michael Spyres, trop modestement entouré, nous rend la voix de Lohengrin, porté par la belle direction d’Aziz Shokhakimov.
Lohengrin à Strasbourg

Un ciel étoilé, un télescope, deux enfants : Elsa et son frère lisent l’histoire de Lohengrin. De quoi justifier, sans doute, la lecture littérale de Florent Siaud. La référence à Friedrich, avec ses ruines vaguement éclairées par l’astre de la nuit, nous plonge au cœur de l’Allemagne romantique qui, nous rappelle le metteur en scène, a voulu ressusciter à travers une patrie idéalisée une Antiquité fantasmée.

Non sans ambiguïté : la nouvelle cité se fonde sur l’alliance du sabre et du goupillon. Le chevalier au cygne, surgi du ciel (de la constellation du cygne), devient un moine-soldat, Christ d’un nouvel Evangile. Tout est ainsi placé sous le signe de la croix, la chambre nuptiale est une chapelle pleine de cierges, où devrait donc se consommer une union mystique. A l’Evangile s’oppose le grimoire d’Ortrud, comme s’il s’agissait d’une guerre culturelle, où il est interdit de penser autrement ou de croire en d’autres dieux, sous peine d’être pendu ou de voir ses livres brûlés. L’utopie vire au totalitarisme. L’allusion est claire.

Le théâtre oublié

Rien de nouveau. Mais, à tout prendre, l’universalité du message, si convenue soit-elle, vaut bien l’éternelle référence à une actualité plus ou moins récente – on se souvient des élucubrations amphigouriques d’un Kirill Serebrennikov à Bastille. Ne plus voir de treillis et de kalachnikovs soulage. Nous pourrions donc adhérer à la cohérence du propos… si le metteur en scène dirigeait les chanteurs. Or il n’y a ici aucun théâtre, aucune tension, seulement des tableaux vivants, certes agréables à regarder. On cherche en vain les personnages, le couple Telramund a perdu son venin, Lohengrin son aura, Elsa son incandescence.

Est-ce pour cela que les chanteurs ne se muent pas vraiment en interprètes ? Petite voix sans rondeur, au médium modeste, Johanni Van Oostrum, quelques mois après les représentations de Bastille, ne se reconnaît plus : une Elsa probe, mais falote, presque midinette. Face à elle, Martina Serafin subit le sort des sopranos qui, le temps passant, tentent de devenir mezzos sans étoffer le médium et le grave alors que l’aigu s’est désespérément défait. Du moins a-t-elle le mérite de remplacer au pied levé Anaïk Morel. Si l’on sait gré à Joseph Wagner de ne pas éructer son Telramund, on l’attendait plus mordant dans l’invective. Timo Riihonen, en revanche, à la noblesse du roi Henri, flanqué du héraut prometteur mais trop vert d’Edwin Fardini.

La voix de Lohengrin

Reste celui que tout le monde attendait : Michael Spyres. Le baryténor rossinien, à la virtuosité éblouissante, le chantre du répertoire français ferait-il un Lohengrin ? Assurément : tout l’y conduisait. Parce que le ténor dit « wagnérien », à la vaillance éprouvée, n’existait pas encore – les créateurs des opéras du maître de Bayreuth chantaient Meyerbeer et Donizetti. L’Américain rend donc le chevalier au cygne à sa vérité première, comme le faisait un Georges Thill ou un Franz Völker.

La technique bel cantiste garantit la souplesse de l’émission et du haut médium où se situe un rôle mettant à l’épreuve des voix trop héroïques. Le velours ambré du timbre, la lumière de l’aigu, le galbe raffiné de la ligne, avec un legato moelleux, achèvent d’en faire un Chevalier d’anthologie. Pas désincarné pour autant : la voix a assez de puissance pour affronter sans dommage le couple démoniaque ou mettre en garde Elsa.

Aziz Shokhakimov ne séduit pas moins. Dès le Prélude, l’orchestre enchante par la rondeur et la transparence des sonorités, avec des cordes d’une parfaite homogénéité. Le jeune maestro ouzbek se révèle ensuite chef de théâtre, grâce à un sens aigu de la narration et des atmosphères, dont le travail sur les timbres restitue la variété. Il trouve la balance entre les pages intimistes et les fastes du grand opéra, qui ne versent pas dans le pompiérisme et bénéficient d’un chœur au sommet.

Lohengrin de Wagner. Strasbourg, Opéra du Rhin, le 10 mars. Représentations jusqu’au 22 mars (Strasbourg), puis les 7 et 10 avril (Mulhouse). 

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