Boris Godounov de Moussorgski au Théâtre des Champs-Élysées

Un concentré de Boris

Dépourvue de tout débordement sentimental, la première version de l’opéra de Moussorgski se concentre sur la figure déchirée de Boris, le tsar usurpateur.

Un concentré de Boris

COMME BON NOMBRE D’OPÉRAS, TELS LES CONTES D’HOFFMANN ou Benvenuto Cellini, Boris Godounov connut un destin accidenté et exige des choix de la part du directeur de théâtre ou du chef qui choisit de le programmer. Au Théâtre des Champs-Élysées, qui reprend un spectacle coproduit avec le Capitole de Toulouse, c’est la version originale de la partition (1869) qui est retenue. Une version concise, en sept scènes, sans l’acte dit « polonais » que Moussorgski ajouta après qu’on eut reproché à son opéra de manquer d’intrigue sentimentale et de personnages féminins. On n’entend donc ici ni Marina, ni Rangoni, l’action se concentrant sur le personnage de Boris et le coup d’éclat du jeune moine Grigori qui, après avoir entendu le récit de Pimène, décide de tenter sa chance et de prendre la place de Grigori, l’enfant que Boris a fait assassiner pour s’asseoir sur le trône. L’intrigue, inspirée d’une tragédie de Pouchkine, raconte ainsi comment un imposteur prend la place d’un usurpateur et précipite sa mort.

Olivier Py, qui signe la mise en scène, ne cherche pas outrancièrement à actualiser le propos. On y voit certes de nombreux drapeaux (dont celui, rouge et blanc, de la Pologne), un élément de décor qui met face à face Poutine et Staline, une table toute en longueur qui rappelle celle que réserve l’actuel président de la Russie à ses interlocuteurs, mais les costumes, les ors des icônes sont bien là, un décor monumental façon Russie des années 30 servant à faire le lien entre les époques. On retrouve bien sûr la patte d’Olivier Py, des jeunes gens aux muscles généreux, un pape ridicule, les inévitables brutes armées de kalachnikov, ainsi qu’une aubergiste (Sarah Laulan) déguisée à la manière de Miss Knife, le double travesti d’Olivier Py, sans que ce qu’on voit trahisse ce qu’on entend : la mise en scène ne se perd pas en détails superflus ni en bavardage, elle ne cherche pas l’éclat à tout prix, elle est riche et concentrée. L’apparition saugrenue d’une jeune ballerine, qui peut-être incarne une tradition chorégraphique antérieure aux Ballets russes de Diaghilev, prend une valeur avant tout décorative.

Du sombre et du brillant

L’Orchestre national de France, que dirige Andris Poga, va dans le même sens, celui de la sobriété et d’une certaine clarté dans les clairs-obscurs, ce qui n’est qu’un apparent paradoxe. L’orchestration à la fois savoureuse et archaïque de Moussorgski (avec un basson pour entrer en matière, comme dans Le Sacre du printemps) nous sauve des enjolivements de Rimski-Korsakov ou de Chostakovitch, qui crurent bien faire en corrigeant les archaïsmes délibérés de leur compatriote. Et malgré quelques voix aiguës un peu tiraillées, le Chœur de l’Opéra national du Capitole, auquel la Maîtrise des Hauts-de-Seine apporte sa contribution, est très convaincant dans le rôle du peuple balloté entre désinvolture, fanatisme et résignation.

Moussorgski a réservé les rôles les plus riches à des voix masculines graves. Alexander Roslavets est un Boris éloquent, digne, désespéré sans démonstration intempestive ; sa voix relativement claire contraste avec les timbres plus noirs de Roberto Scandiuzzi (Pimène, le moine chroniqueur) et de Yuri Kissin (Varlaam, le moine ivrogne), tout autant qu’avec ceux des personnages retors, que le compositeur a confiés à des ténors : Airam Hernández (le moine Grigori, qui se prétend Dimitri) et Marius Brenciu (le Prince Chouïski, opportuniste entre tous). Les petits rôles sont nombreux, mais on citera encore la Xenia de Lila Dufy, qui déplore avec justesse la mort de son fiancé, et le Fiodor de Victoire Brunel, fils de Boris.

L’une des très bonnes idées d’Olivier Py est de faire intervenir l’Innocent (Kristofer Lundin) dès le début : tenue burlesque, chapeau pointu de métal sur la tête, l’Innocent est le miroir déformant de Boris, celui qui peut lui tenir tête et lui dire ses quatre vérités. Sa présence montre combien une certaine clairvoyance sourd parfois des consciences les plus naïves.

Illustration : Fiodor (Victoire Bunel) et Xenia (Lila Dufy) ; photo Mirco Magliocca.

Moussorgski : Boris Godounov. Avec Alexander Roslavets (Boris), Victoire Bunel (Fiodor), Lila Dufy (Xenia), Svetlana Lifar (la Nourrice), Marius Brenciu (Chouiski), Mikhail Timochenko (Andreï Tchelkalov), Roberto Scandiuzzi (Pimène), Airam Hernández (Grigori/le Faux Dimitri), Yuri Kissin (Varlaam), Fabien Hyon (Missaïl), Sarah Laudan (l’Aubergiste), Kristofer Laulan (l’Innocent), Barnaby Rea (Mitioukha), Sulkhan Jaiani (Nikititch), Chloé Pages (danseuse) ; Chœur de l’Opéra national du Capitole (dir. Gabriel Bourgoin), Maîtrise des Hauts-de-Seine (dir. Gaël Darchen). Mise en scène : Olivier Py ; décors et costumes : Pierre-André Weitz. Orchestre national de France, dir. Andris Poga. Théâtre des Champs-Elysées, 1er mars 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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