On savait que le deuxième volet du Ring monté à La Monnaie par le tandem Altinoglu-Castellucci n’aurait pas de rapport direct avec L’Or du Rhin qui avait ouvert le cycle, le metteur en scène ayant affirmé sa volonté de traiter chacun des opus de la Tétralogie comme une entité isolée. En effet, après nous avoir montré un Walhalla tout de marbre et de clarté dans L’Or du Rhin, Romeo Castellucci adopte à partir du deuxième acte de La Walkyrie un impressionnant parti pris d’extrême sobriété afin de mieux faire ressortir encore les ressorts du drame et les rapports si compliqués entre les protagonistes, ces dieux et demi-dieux puissants mais aussi si fragiles et humains, pris dans les pièges de la passion, de l’amour, du devoir, du respect des lois mais aussi dans la douleur que cause la souffrance de ceux qu’on aime.

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Die Walküre à La Monnaie
© Monika Rittershaus

Mais avant cela, le premier acte aura donné lieu à son lot d’interrogations. La rencontre entre Siegmund et Sieglinde se fait sur une scène presque nue, où le principal accessoire est une barre horizontale accrochée à deux filins. C’est dans un subtil éclairage à la Georges de la Tour que Sieglinde offrira de l’eau au fugitif, en se servant étrangement non pas d'un bol ou d'un gobelet mais d’un long tube. L’intérieur du ménage Hunding, où passe et repasse un chien noir, se compose de meubles empilés, avec des chaises posées tout en haut d’armoires ou de buffets superposés. Le décor se réduit ensuite à un réfrigérateur où Siegmund déposera son épée, bien au frais, à la veille du duel. Dans leurs étreintes, les amants incestueux se maculent de peinture rouge avant de se partager un petit bidon de lait. Quant à Hunding, il ira dormir en se glissant dans un confessionnal. Mais bizarrement, si l’approche de Castellucci paraît parfois curieuse voire incongrue, le récit ne cesse de passionner. 

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Die Walküre à La Monnaie
© Monika Rittershaus

La cohérence et l’intensité dramaturgique vont monter de plusieurs crans dès le deuxième acte. C’est dans un décor dépouillé à l’extrême que Wotan, tout de noir vêtu, demande à Brünnhilde d’assurer la victoire de Siegmund dans son duel contre Hunding, mais qu’il finit par céder aux exigences de Fricka, garante des droits du mariage habillée d'un énorme costume blanc. Le passage où Brünnhilde annonce à Siegmund sa fin prochaine est un grand moment de théâtre. Le duel est ensuite bien castelluccien, car ce n’est pas Hunding qui tue Siegmund : ce dernier est étouffé par des espèces de gorilles velus qui le recouvrent entièrement avant que de la mêlée ne soit extrait, pendu par une patte, un chien mort. 

Le troisième acte est remarquable. Puisqu’il est bien question ici de chevauchée des Walkyries, Castellucci met sur scène huit chevaux (remarquablement sages) sur lesquels les Walkyries aux longues robes noires chargent les guerriers morts et nus pour les amener au Walhalla. Cela donne lieu à des images saisissantes, où Walkyries et guerriers défunts forment d’émouvantes Pietà. La confrontation Wotan-Brünnhilde qui clôture l’œuvre est superbe. Après les merveilleux épisodes de tendresse entre le père et sa fille rebelle et aimée, Brünnhilde se couche sur le sol alors que le rectangle lumineux qui servait de décor s’incline peu à peu jusqu’à la recouvrir entièrement. Et c’est après l’invocation de Wotan à Loge qu’un cercle de feu vertical s’allumera sur la scène.

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Die Walküre à La Monnaie
© Monika Rittershaus

La partie purement musicale bénéficie d’une distribution féminine de tout premier ordre. La Sieglinde de Nadja Stefanoff est fine et sensible et on a du mal à imaginer une Brünnhilde avec davantage d’autorité, de présence et de tendresse qu’Ingela Brimberg. Marie-Nicole Lemieux nous donne à entendre une Fricka digne et véhémente, mais sans rien d’acariâtre. Enfin, il faudrait aller loin pour entendre un ensemble de Walkyries plus homogène que les huit chanteuses réunies sur la scène bruxelloise.

Hélas, les chanteurs masculins n’atteignent pas ce niveau d’excellence. Ante Jerkunica a bien sûr la présence et la voix noire qui sied à Hunding, mais sa prestation est malheureusement entachée d’un vibrato mal contrôlé. Gábor Bretz s’affirme davantage en Wotan que dans L’Or du Rhin mais, en dépit de son indubitable sincérité, sa voix est trop légère pour le rôle. Enfin, même si Heldentenor est un métier en pénurie, la voix terne et un peu barytonante du sensible Peter Wedd est dépourvue de ce métal et de l’aigu libre et rayonnant que le rôle demande.

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Die Walküre à La Monnaie
© Monika Rittershaus

Dans la fosse, l’Orchestre Symphonique de la Monnaie se couvre une fois de plus de gloire sous la direction enthousiasmante de son directeur musical. Alain Altinoglu offre une approche extraordinairement convaincante où, plutôt que de viser le dernier carat du fondu orchestral, il opte – comme un Pierre Monteux avant lui – pour un Wagner à la française, avec des chœurs instrumentaux bien détachés, dans une approche où la musique prend résolument le pas sur la métaphysique. Ce n’est pas un démiurge qui est à l’œuvre ici mais un grand musicien.

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