A Bruxelles, une Walkyrie inégale

- Publié le 29 janvier 2024 à 10:39
Deuxième étape pour le nouveau Ring de la Monnaie. Le spectacle de Romeo Castellucci navigue entre fulgurances et statisme, alors que la distribution vocale n’est pas sans reproche. Au pupitre, Alain Altinoglu triomphe.
La Walkyrie de Wagner

Après la fresque étrange et fascinante que L’Or du Rhin inspirait à Romeo Castellucci, cette Walkyrie laisse davantage sceptique. Au début, le metteur en scène peuple toujours son spectacle d’une foule de symboles et d’allégories que l’on serait bien en peine de décoder. Pourquoi Siegmund range-t-il son épée dans un frigo ? Pourquoi les jumeaux, à la fin de l’acte I, s’aspergent-ils de sang ? Pourquoi, au II, Fricka paraît-elle caparaçonnée dans une robe chrysalide, accompagnée de cinq suivantes pareillement accoutrées, avant de sacrifier quelques pauvres colombes ? Certains détails relèvent du didactisme le plus désarmant, tels ces étendards qu’on agite par-dessus la tête de Wotan quand il confesse ses erreurs, et sur lesquels s’écrit le mot « idiot » (sic). Surtout, les mouvements incessants du décor, des objets et figurants, aussi virtuoses soient-ils, semblent là pour masquer les faiblesses d’une direction d’acteur gagnée par le statisme. C’est patent au I, où d’innombrables meubles n’en finissent pas d’aller et venir, sans rime ni raison.

A mi-parcours tout change : le plateau, noir, se dépouille. Si cette sobriété a du bon, elle n’en souligne que davantage la sagesse, voire la banalité des attitudes. L’art des lumières et du détail visuel est certes toujours fulgurant, distillant quelques fortes images, comme ces ténèbres qui submergent peu à peu le corps de Siegmund. Mais au III, la présence sur scène, elle aussi statique, de vrais chevaux, a tout du gadget animaliste, quand le charnier des héros morts au combat offre la puissante vision d’une horreur infernale. A la fin, nul rocher, mais un grand écran lumineux sous lequel Brünnhilde sera comme engloutie, avant qu’un anneau ne s’embrase sur l’ultime accord. Bel effet, mais il arrive bien tard, après tant de moments où Castellucci a paru chercher sa voie.

Héroïsme modeste

La distribution n’est pas non plus sans reproches. Le Siegmund et la Sieglinde de Peter Wedd et Nadja Stefanoff ont des qualités et défauts assez similaires : de la lumière et de la souplesse dans l’émission, mais une puissance en berne, en particulier aux extrêmes de la tessiture, qui rend leur héroïsme bien modeste, surtout face au Hunding sonore et abyssal d’Ante Jerkunica.

On retrouve la Fricka épatante, par son abattage jamais outré, de Marie-Nicole Lemieux, comme le Wotan atypique de Gabor Bretz, qui tire vaillamment son épingle du jeu. Ce maître des armées manque de muscle et de volume ? Soit, mais si ses colères en pâtissent, on succombe à la splendeur du timbre, à ses délicatesses de Liedersänger, outre une endurance à toute épreuve qui lui permet d’arriver aux Adieux frais comme un gardon, ému aux larmes, bouleversant.

Projection incendiaire

On a pris décidément le parti de voix plus lyriques que d’ordinaire, car la Brünnhilde d’Ingela Brimberg, déjà entendue il y a quelques saisons à Bordeaux, n’a rien d’un soprano bodybuildé, brillant au contraire d’un éclat juvénile et féminin fabuleux, avec une jubilation du mot et de la note, une vivacité dans les accents et le dessin mélodique, une projection incendiaire qui portent l’incarnation au triomphe.

Si l’Orchestre de la Monnaie a fait ces dernières saisons des progrès notables, il n’a pas encore l’opulence luxueuse des plus illustres formations wagnériennes. Alain Altinoglu profite de cette sonorité d’ensemble tirant vers la clarté, de ces textures sans lourdeur, pour mettre en valeur avec de beaux effets de transparence les détails de la partition. Surtout, le geste cursif, la maîtrise des équilibres, les attaques tranchantes, la tension sans répit, l’électricité des tempos enfin, organisent un irrésistible alliage de volupté et de fracas.

La Walkyrie de Wagner. Bruxelles, Théâtre de la Monnaie, le 28 janvier. Représentations jusqu’au 11 février.

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