Elias à Lyon, prophète ou non ?
Les oratorios, souvent basés sur des sujets religieux, ne sont pas conçus pour être mis en scène. En proposer malgré tout des versions scéniques est cependant de plus en plus courant. C’est donc le cas de l’Opéra national de Lyon qui présente la mise en scène par Calixto Bieito (créée au Théâtre de la Vienne) d’Elias de Mendelssohn.
Sur un plateau presque nu, uniquement habillé de longues grilles de métal qui forment des rails, des murs ou un plafond selon leur configuration, c’est finalement le chœur, présent de bout en bout, qui constitue la pièce majeure de la scénographie.
L’image la plus marquante intervient dès les premières minutes : Elias tire péniblement derrière lui un modèle réduit d’église, en carton, symbolisant la vocation du prophète. Mais le peuple vient détruire cette grande maquette, déchirant ses murs et en dispersant les restes sur le plateau. Ces bouts de carton jonchant le sol restent dès lors à la fois le principal accessoire et le décor de la soirée.
Calixto Bieito l’explique dans sa note d’intention : il voit en Elias un homme d’un « grand charisme, mais également d’une grande faiblesse, avec des grands défauts ». Selon lui, il « souffre de dépression » et « ne peut pas être prophète ». C’est donc un regard assez noir qu’il porte sur ce personnage violent (comme dans la Bible, Elias fait exécuter les prêtres de Baal), qu’il voit plus comme un opportuniste que comme un prophète, dans une vision très agnostique de cet épisode biblique. L’incarnation mystique de l’Ange est d’ailleurs ici malmenée. Bieito ne se pose pas de question sur le sexe des anges : c’est ici clairement une femme, lascive, qui finit par embrasser le prophète à pleine bouche. Le message du metteur en scène reste finalement assez confus, sans poésie et assez constant au fil du spectacle : dans ces conditions, sans doute un entracte aurait-il été bienvenu pour maintenir l’attention du public au fil des quelques 2h30 de musique.
Ce qui prime de toute façon, dans un oratorio, c’est la musique. Et sur ce point, le public est servi. La direction par Constantin Trinks de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon est intense et pleine de reliefs, comme s’il éprouvait une sorte d’urgence à présenter cette musique dans sa richesse mélodique et dramaturgique. Il assure les équilibres avec finesse entre les pupitres et entre la fosse et la scène. Le Chœur de l’Opéra de Lyon forme un vrai peuple par sa cohésion et l’éclat du son qu’il produit, notamment dans les pages les plus complexes de la partition dont les différentes strates harmoniques sont bien définies, aussi bien dans la douceur que dans l’exaltation.
La plateau vocal est à l’avenant. Derek Welton, une tête de plus que le reste du plateau, en impose dans le rôle-titre. Au-delà de sa stature, sa voix d’airain et son énergie le placent naturellement dans les pas de ce « leader charismatique » au phrasé inspiré. Son timbre a l’écorce épaisse et sombre du chêne séculaire, tandis que sa projection concentrée a la vitalité de la jeunesse. Seules ses courtes vocalises manquent de fluidité.
En Veuve, Tamara Banješević s’appuie sur une voix épaisse, pure et très lyrique. Son timbre est chaud et riche en harmoniques et son interprétation nuancée. Kai Rüütel-Pajula incarne l’Ange avec prestance, d’une voix sémillante au métal tranchant et au vibrato rapide. Elle construit ses phrasés sur un vibrato soigné et une réelle musicalité. Robert Lewis campe Ovadyah d’un ténor clair et brillant, au vibrato sobre et à la diction habile. Beth Taylor est la Reine Jézabel : elle dispose d’une voix profonde et douce, large et résonnante, au vibrato léger.
Yannick Berne prête sa voix solide à la courte intervention du Roi Achab. En Séraphin (ici dépeint en marginale dérangée), Giulia Scopelliti expose une voix de pierre mate et acérée, et à l’aigu ciselé.
Les quatre derniers solistes portent des noms de personnages qui pourraient être confondus avec des épisodes de la série Friends. Ainsi le public trouve le très discret Tigran Guiragosyan dans le rôle de "Celui qui cherche" et retrouve le baryton-basse Pete Thanapat dans le rôle de Celui qui est perdu, s’appuyant sur un port noble et une voix concentrée et charbonneuse. Thandiswa Mpongwana est Celle qui attend d’une voix au timbre doux et au vibrato pressé. Kwang Soun Kim est Celui qui implore d’une voix charpentée. Enfin, le très jeune Martin Falque porte la voix très pure et flûtée de l’Enfant avec justesse.
Lorsque les lumières se rallument, le public applaudit l’ensemble des protagonistes, et réserve des applaudissements particulièrement nourris pour Tamara Banješević et Derek Welton.