À Lyon, un Elias puissamment dramatique

- Publié le 18 décembre 2023 à 15:27
Au plus près de la symbolique biblique, la mise en scène de Calixto Bieito (créée à Vienne en 2019) est au service d’une partition transportant l’oratorio dans le monde de l’opéra, tout comme un plateau d’une rare homogénéité : réussite absolue.
Elias

Mendelssohn imagina Elias après l’achèvement de son premier oratorio Paulus, mais ne l’écrivit que dix ans plus tard, en quelques mois. Créé à Birmingham le 26 août 1846, l’œuvre fut un succès total : huit numéros furent même bissés. Berlioz, qui assista à la reprise londonienne de l’ouvrage (remanié) un an plus tard le jugea même « magnifiquement grand et d’une somptuosité harmonique indescriptible ». Puisant essentiellement au Livre des Rois, le livret (constitué par Julius Schubring) s’attache à quelques éléments de la vie du prophète : condamnation à la sècheresse d’un peuple qui a préféré Baal à Dieu, fuite, miracles (résurrection d’un enfant, feu, pluie), retraite, ascension finale. L’oratorio dit aussi les hésitations d’un prophète en proie au doute et au désespoir, suppliant même Dieu de le rappeler à lui.

Univers profus

Entrer dans l’univers de Calixto Bieito est à la fois aisé et complexe. Aisé parce que la lecture première convoque, très directement, notre réalité : le décor (Rebecca Ringst) est de carton et de métal, la vidéo (Sarah Derendinger) d’images simples, les costumes (Ingo Krügler) contemporains d’un spectateur du XXIe siècle. Complexe parce que cet univers fait écho non seulement à la partition mais aussi à la Bible et, plus encore, à la Bible telle que pouvait l’appréhender Mendelssohn, juif converti au christianisme, petit-fils de philosophe. Bieito avoue ne pas vouloir faire une pièce religieuse mais une pièce « à propos des relations entre les gens et de leur besoin de croire en un meneur ou pas, leur besoin d’espérer ». La profusion symbolique peut, certes, déconcerter. Mais, outre la réelle beauté de la proposition, on ne peut que saluer la fidélité au texte, s’émouvoir de quelques détails empruntés à l’Ancien Testament (la douce folie du Séraphin, « pauvre en esprit », l’aigle apocalyptique de la vidéo, le feu de la lumière divine). La puissance dramatique de la musique trouve ici un prolongement parfaitement à sa mesure – Elias est un peu l’opéra que Mendelssohn tentait alors de composer, il use même des leitmotive propres au genre, procédé inédit pour un oratorio.

Plateau de rêve

Le ravissement se prolonge avec la distribution. Derek Welton incarne remarquablement un Élias multiple, confiant en Dieu mais parfois agité de doutes (son long monologue « Es ist genug » est une merveille de variété et d’émotion). Son compagnon Ovadyah est joué par Robert Lewis, parfait de ferveur, tour à tour inquiet et protecteur. Tamara Banješević campe une Veuve extraordinaire de vérité, voix longue et timbre exceptionnel, sans parler de sa présence scénique. L’Ange de Kai Rüütel-Pajula possède, outre le jeu volontairement hiératique qui convient à son statut, ce qu’il faut de passion et de retenue à la fois. Beth Taylor confère à la Reine prestance et rage. Giulia Scopelliti est un Séraphin fantastique, tant par le jeu que par la vocalité subtile. Pete Thanapat, Thandiswa Mpongwana, Yannick Berne, Tigran Guiragosyan et Kwang Soun Kim ne déméritent pas dans les rôles secondaires. Quant à l’Enfant (Martin Falque), il saisit par la pureté et la justesse de son timbre.

Ajoutons à ce réjouissant tableau un chœur éblouissant, qui réussit une véritable prouesse à la fois vocale et scénique, et un orchestre à l’équilibre sûr (et il en faut pour servir cette exigeante partition), dirigé avec art par Constantin Trinks. « Magnifiquement grand ».

Elias de Mendelssohn. Lyon, Opéra le 17 décembre. Représentations jusqu’au 1er janvier 2024.

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