En ce 1er décembre pluvieux, l'Opéra de Nice se transforme en un terrain de jeu audacieux et déjanté avec la représentation de 200 Motels – The Suites de Frank Zappa. Il s’agit d’une transposition scénique du docu-fiction réalisé en 1971 par Tony Palmer et Zappa lui-même, retraçant la vie en tournée du groupe de rock The Mothers of Invention. Dès l'entrée, l'atmosphère est imprégnée de l'esprit unique de l’artiste américain : sa musique résonne sur le parvis, accompagnant la vue insolite de motos Harley Davidson disposées dans le hall de l'opéra.

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200 Motels – The Suites à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein / Opéra de Nice

L'animateur TV – Lionel Peintre, brillant par sa présence vibrante et charismatique – prend le relais en interrogeant le public dans la salle avant le début du spectacle, instaurant une connexion entre l'auditoire et la scène. Fidèle à l'œuvre originale de Zappa, la pièce dévoile un style d'écriture audacieux et éclectique. Le mélange des genres est omniprésent, allant du rock à la symphonie, de l'opéra à la comédie musicale, en passant par des sonorités dissonantes et un usage de la percussion qui n’est pas sans rappeler Intégrales de Varèse.

Rapidement, la frontière entre le spectacle et la vie réelle s'estompe. Les artistes conquièrent tout l'espace de l'opéra, déambulant parmi le public, utilisant même les sorties réservées aux spectateurs. Ce choix crée une immersion totale, invitant l’auditoire à être partie intégrante de l'expérience. Une marionnette de Zappa, dirigée par l'acteur Dominic Gould, émerge comme un personnage taquin et provocateur, s'installant parmi l’audience. Ces interactions théâtrales ajoutent une couche de spontanéité, transformant même le chef d'orchestre en acteur puisque l’ouvrage contient une scène d’insultes entre lui et l’animateur !

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200 Motels – The Suites à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein / Opéra de Nice

Au fil de l’ouvrage s’instaure un décalage entre la forme lyrique des chants et le contenu prosaïque du texte, qui ajoute une dimension comique et subversive à la performance. Des sujets aussi triviaux que les sandwiches au thon ou la dimension d’un certain organe masculin sont traités par les énergiques Mark Van Arsdale (Mark) et Jonathan Boyd (Howard) avec une élégance lyrique, créant ainsi un contraste hilarant. La volonté globale d'amusement, d'humour et d'ironie est palpable à chaque instant. Interprétant d’espiègles journalistes, Pauline Descamps (Lucy) et d’Emilie Rose Bry (Janet) arborent des voix bien placées, dotées d’aigus très clairs et de glissandos agiles.

La mise en scène d’Antoine Gindt cultive la modernité et l’interaction par l'utilisation constante des écrans. Les chanteurs jouent constamment avec les caméras et regardent directement dans l'objectif, grâce à un dispositif de captation-diffusion en temps réel. Le décor minimaliste, évoquant un plateau de télévision, renforce ce choix esthétique. Les costumes colorés pensés par Fanny Brouste contribuent à la vivacité visuelle, en opposition avec la simplicité du cadre.

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200 Motels – The Suites à l'Opéra de Nice
© D. Jaussein / Opéra de Nice

Du côté musical, la partition, composée des 13 suites apparaissant dans le film (puis enregistrées par Zappa sur son album 200 Motels – The Suites), est reprise dans l’orchestration originale complétée de certains arrangements réalisés par un compositeur et ami de Zappa, Ali N. Askin. Pour la servir au mieux, le chef Léo Warynski arbore une battue claire et sérieuse, faisant face à la complexité de l'écriture rythmique avec une maîtrise certaine. Sa tâche nécessite en effet de mêler avec cohérence l'Orchestre Philharmonique de Nice, les chanteurs lyriques, le groupe de rock The Headshakers, et l'ensemble instrumental des Percussions de Strasbourg. Si l’on remarque une légère difficulté à entendre le chœur dans les tuttis, cela n’ôte rien à la qualité de la performance. Et l’odyssée excentrique dans l’univers de Zappa se conclut dans un spectaculaire karaoké final en forme de louange collective… à laquelle on ne peut que souscrire !

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