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La Flûte Enchantée vue par Cédric Klapisch au Théâtre des Champs-Elysées – Gentil Mozart – Compte-rendu

 
Le voilà donc, ce premier essai lyrique si attendu du talentueux Klapisch, dont le regard à la fois attendri et humoristique sur la société contemporaine a touché un immense public. Sans doute un gentil  bien qu’on ne l’ait pas rencontré personnellement - comme l’a montré son film sur une danseuse aux abois, En Corps, si bienveillant.  Il n’aime donc pas que les plateaux, il aime aussi la scène et s’y mesure, montrant combien faire bouger des comédiens sur un écran est une chose, et les animer sur un plateau lyrique en est une autre. Bien des metteurs en scène de cinéma plus prestigieux que lui, en ont fait l’expérience, de Werner Herzog à Roman Polanski. En oubliant le génie Visconti, évidemment.
 

© Vincent Pontet
 
Voici donc une Flûte Enchantée joliment fade, spectacle de Noël longuet, alors que c’est un immense chef-d’œuvre, difficile à saisir dans ses contrastes qu’une dimension commune doit relier. Encore faut-il la trouver. Au début, on est content : séduisante forêt avec des projections cocasses du serpent – très belles images de Niccolo Casas et Stéphane Blanquet – lequel, décidément source de tous nos maux, menace Tamino. Puis arrivent les Dames, bien croquées, Papageno, bien costumé et emplumé par le duo Stéphane Rolland et Pierre Martinez, et le portrait de Pamina, porteuse d’une crinière rouge digne du Crazy horse, qu’elle tient elle-même… Réjouissant. On se cale dans son fauteuil, on roucoule presque. Tout commence bien.
 

© Vincent Pontet
 
Mais ensuite ? L’originalité de la Flûte, créée pour une salle populaire, avec des dialogues volontiers triviaux que Klapisch a adaptés en français avec quelques variantes, sans préjudice pour l’ensemble, est son immense élan, parti de bas et montant par degrés vers un sommet, dont la force expressive, musicale et mentale, convertirait n’importe qui à n’importe quoi, comme les œuvres sacrées de Bach vous donnent la foi ! Mais hélas, la montagne ne se gravit pas : sans doute parce que les effets ne sont pas ménagés avec assez de force, parce que le temple maçonnique, bien qu’intelligemment présenté, n’impressionne pas, que prince et princesse restent quotidiens.
Et surtout parce que le metteur en scène ne parvient pas à construire des ensembles aux structures intéressantes, ni rendre parlant le geste des comédiens-chanteurs. Les oppositions entre Zarastro et la Reine de la Nuit restent superficielles et ne rendent pas justice au grand débat entre la nuit et le jour, l’obscurantisme et la lumière, qui doit s’élever au dessus des images figées pour spectacle de lycéens.
 

© Vincent Pontet
 
Les amours de Tamino, vêtu d’une sorte de pyjama rouge qui se voudrait japonisant et d’une cape envahissante, ce qui le fait paraître déguisé, au lieu d’être porté par une simplicité princière, et de Pamina, robe blanche et crinière dignes de la Belle Hélène, ne touchent pas plus que celles de Papageno et Papagena, les épreuves rituelles demeurent peu compréhensibles: le ton restant celui d’une sympathique farce qu’on finit par trouver longuette.
L’essentiel demeurant la richesse de la musique, si changeante, allant de la mélodie gracieuse, de la pitrerie populaire à la splendeur chorale et au lyrisme des grands airs, de douloureux devenant planants et apaisés. Ce qui doit laisser sur une sensation d’harmonie et d’épanouissement. L’interprétation s’approche de la grande qualité, sans l’atteindre totalement. Une chose est sûre, c’est l’homogénéité du plateau, constitué de chanteurs solides mais qui n’émeuvent pas. De Cyril Dubois en Tamino, de surcroît confiné à des attitudes de gamin au limites du clownesque, on a connu plus d’intensité vocale ; il y a du charme dans le soprano de Regula Mühlemann, pour Pamina, mais un jeu presque infantile, voulu bien évidemment ; Florent Karrer est un bon Papageno, plus lourd que pétillant, face à Catherine Trottmann, Papagena sémillante. Marc Mauillon offre un Monostatos graveleux à souhait, tandis que Jean Teitgen campe un Zarastro correct dont la basse ne fait pas monter au ciel. Seule très grande pointure de cette distribution convenable, Josef Wagner s’élève nettement au-dessus des autres, mais malheureusement dans le rôle si réduit du Sprecher.
Reste la Reine de la Nuit, dans lequel Aleksandra Olczyk n’avait pas fait l’unanimité. Ayant déclaré forfait, elle a été remplacée dans des conditions rocambolesques par Anne-Sophie Petit : arrivée en catastrophe, après avoir ajusté sa féerique coiffure, celle-ci ne put être maquillée complètement pour son premier air, lancé, lui, avec prudence tout d’abord, puis une vaillance époustouflante dans les fameuses vocalises !

Dans la fosse, on retrouvait la dynamique habituelle propre à la battue de François-Xavier Roth, son énergie et la fluidité qu’il est capable d’obtenir de son orchestre Les Siècles, bien épaulé par le Chœur Unikanti-Maîtrise des Hauts-de-Seine (préparé par Gaël Darchen), mais jamais, l’émotion n’est véritablement montée, ni la grandeur. Restait un charme certain, ce qui n’est pas assez pour une œuvre d’une telle portée.
 
Jacqueline Thuilleux
 

 Mozart : La Flûte enchantée – Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 20 novembre ; jusqu’au 24 novembre 2023. www.theatrechampselysees.fr .
 
Théâtre Impérial de Compiègne, 3 décembre 2023 (17h). www.theatresdecompiegne.com
 
Diffusion sur France Musique le 13 janvier 2024 à 20h
 
Photo © Vincent Pontet

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