Une Flûte féerique

Le duo François-Xavier Roth/Cédric Klapisch fait merveille dans La Flûte enchantée, ultime et brillantissime opéra populaire de Mozart.

Une Flûte féerique

À n’en pas douter, la production de La Flûte enchantée qui se donne au Théâtre des Champs-Élysées fera date. Son originalité (sans excès) et son alliage de respect de la partition et de liberté créatrice en font un spectacle tous publics, sans être complètement consensuel. Cette réussite est une première pour les deux maîtres d’œuvre principaux. Le metteur en scène très éclectique Cédric Klapisch, réalisateur de sympathiques comédies chorales, s’essaye avec un enthousiasme communicatif à l’opéra en remisant son principe de réalisme. Le chef François-Xavier Roth, malgré sa vaste expérience, aborde pour la première fois cet opéra promis à un succès populaire, créé en septembre 1791 dans les faubourgs de Vienne, par un compositeur en mal de financement. Fervent adepte de la franc-maçonnerie, Mozart n’y renonce en rien à ses exigences musicales, ni à ses idéaux des Lumières et de liberté.

Malgré ses apparences de fantaisie, de légèreté et de fraîcheur enfantine, ce dernier opéra, singspiel (comédie alternant parties parlées et chantées) écrit par le truculent et très misogyne Schikaneder, n’est pas le genre le plus facile à monter. Truffé de symboles maçonniques plus ou moins abscons, en équilibre entre bouffonnerie et sérieux philosophique, le sens apparaît rien moins qu’évident aujourd’hui. Première décision de Klapisch : traduire les dialogues en un français de la rue et ajouter quelques traits qui mettent un peu de croustillant et de peps à une intrigue basée sur un schéma initiatique un rien lénifiant. Quelques mises au point bien senties et drôles contre le sexisme, le conservatisme, voire le racisme du livret, toutes choses insupportables aujourd’hui, ponctuent le récit, et se résument par cette formule lancée par un chanteur « On est en 1791, mec ! » pour signifier la fin de l’ancien régime et de ses privilèges.

Mais l’enjeu principal de l’opéra féerique reste bien l’opposition manichéenne entre deux pôles, deux piliers dramaturgiques de l’opéra. D’un côté le Bien et les bienfaits de la culture et de la civilisation en la personne de Sarastro, le maître du Temple de la Sagesse ; et de l’autre le Mal, figuré par son ennemie et rivale en pouvoir, la redoutable Reine de la nuit, fruit de la nature et de la superstition qui se shoote à coups de « tisanes d’herbes aromatiques ».

Fantasme d’amour

Mais tout n’est pas aussi tranché comme le verra le prince Tamino qui, séduit d’emblée par le portrait de la fille de la Reine de la nuit, Pamina, doit traverser une série d’épreuves avant de voir son fantasme d’amour réalisé. En contrepoint, un autre couple va se former. Il unit l’intarissable et menteur oiseleur Papageno, et une créature mutante faite pour lui, comme l’atteste son nom : Papagena. Une foule de personnages secondaires traversent le champ comme le cruel serviteur maure Monostatos, qui en pince pour Pamina ; les Trois Dames qui offrent une flûte magique à Tamino pour le protéger ; et les Trois Garçons (ou Génies) joués par des enfants qui interviennent périodiquement pour l’encourager. Au terme d’une série de dévoilement successifs où les faux-semblants tombent les uns après les autres, tout finira pour le mieux et Tamino rejoindra sa Pamina dans la lumière.

Outre la transposition du langage, qui n’est pas rien, Klapisch s’est entouré d’une phalange d’artistes ancrés dans la création et les technologies contemporaines. Ils mettent en place un univers graphique entre manga et science-fiction, avec des costumes très couture aux couleurs tranchées. En premier lieu, la scénographe Clémence Bezat peuple la scène d’une forêt de troncs bleus amovibles et de feuillages rouges, créant alternativement des ambiances très contrastées, du conte cruel à l’heroic fantasy en passant par des images digitales futuristes et glaçantes. Inattendues, des séquences d’animation avec animaux et autres monstres vibrionnants surgissent tout à trac sur scène. Mais ce déploiement de technologies scéniques un peu kitsch peut, et c’est tant mieux, céder la place aux moyens plus basiques du théâtre de tréteaux où un simple rideau de fond de scène suffit à planter un décor.

Très pointilliste, en revanche, la direction des chanteurs/acteurs, jamais laissés à eux-mêmes, organise des déplacements très chorégraphiés. Amusante autant qu’émouvante, la rencontre/reconnaissance entre Papageno et Papagena est, à cet égard, un morceau d’anthologie.

Changements abrupts de tempo

Si l’on n’a pas été séduit de prime abord par la direction de François-Xavier Roth, qu’on a trouvée atone dans l’ouverture, on a constaté une montée en puissance à mesure que cet opéra au long cours (3 heures dont un entracte) déroule ses multiples ressources musicales. À la tête de son orchestre Les Siècles, en résidence au Théâtre des Champs-Élysées, qui joue sur des copies d’instruments viennois d’époque, le chef a supprimé le continuo de clavecin. Il laisse place à son gré à des silences, à des changements abrupts de tempo, à une gestion très dramatique des dialogues chantés, autant de libertés qu’il estime avec raison aller dans le sens du théâtre. De même avec des bruits d’oiseaux et autres sons d’ambiance jugés en accord avec la dramaturgie.

Tous les chanteurs ont l’âge et le physique de leur rôle et s’attachent, même les étrangers, à rendre très vivants les dialogues en français. Comme de juste, les deux personnages les plus opposés sont vocalement les plus contrastés : la jeune soprano polonaise Aleksandra Olczyk gagne les hauteurs stratosphériques requises par le rôle de la Reine de la nuit, déjà interprété sur plusieurs scènes, mais sans guère de nuances, et sur une ligne très tendue qui fait parfois craindre parfois le pire. Beaucoup plus assuré, la basse Jean Teitgen atteint en Sarastro des profondeurs abyssales. On a connu le ténor Cyrille Dubois, qui joue Tamino, en meilleure forme, tandis que la soprano Regula Mühlemann incarne une Pamina pleine de charme. Quant au couple Papageno/Papagana, il ne pouvait trouver meilleurs porte-voix que le débonnaire baryton Florent Karrer et la pétillante soprano Catherine Trottmann.

On apprend dans le programme de salle que Cédric Klapisch va réaliser une captation du spectacle avec le soutien (entre autres) du CNC. On pense inévitablement au film-culte d’Ingmar Bergman réalisé en 1975. Moyennant quelques réglages et dégraissages, on lui espère le même succès.

Photo Vincent Pontet

La Flûte enchantée au Théâtre des Champs-Élysées jusqu’au 24 novembre, https://www.theatrechampselysees.fr/.
Direction : François-Xavier Roth, mise en scène : Cédric Klapisch, scénographie : Clémence Bezat, création d’images digitales : Niccolo Casas, illustrations animaux et monstres : Stéphane Blanquet, costumes : Stéphane Rolland et Pierre Martinez, lumières : Alexis Kavyrchine.
Avec Cyrille Dubois (Tamino), Regula Mühlemann (Pamina), Florent Karrer (Papageno), Catherine Trottmann (Papagena), Jean Teitgen (Sarastro), Marc Mauillon (Monostatos), Aleksandra Olczyk (La Reine de la Nuit), Joseph Wagner (Le narrateur)
Et l’Orchestre Les Siècles, Chœur et Unikanti-Maîtrise des Hauts-de-Seine, direction : Gaël Darchen

A propos de l'auteur
Noël Tinazzi
Noël Tinazzi

Après des études classiques de lettres (hypokhâgne et khâgne, licence) en ma bonne ville natale de Nancy, j’ai bifurqué vers le journalisme. Non sans avoir pris goût au spectacle vivant au Festival du théâtre universitaire, aux grandes heures de sa...

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