Le Théâtre des Champs-Élysées est comble en ce soir de triple première : première d’une nouvelle production de la Flûte enchantée, première Flûte pour le chef François-Xavier Roth et son ensemble Les Siècles, et première mise en scène d’opéra pour le réalisateur Cédric Klapisch.

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La Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch au TCE
© Vincent Pontet

Ce dernier l’affirme dans le programme de salle : il ne propose pas de relecture ni de psychanalyse de la pièce de Schikaneder ; juste quelques ajouts personnels dans les dialogues donnés en français. De cette louable intention, Cédric Klapisch ne fait pourtant pas grand-chose. Ou plutôt, en s’abstenant de prendre un parti clair – impressionné peut-être par la complexité d’un chef-d’œuvre si simple en apparence –, il nous livre une Flûte déconcertante.

Tout aura pourtant bien commencé : le rideau s’ouvre sur la lisière d’une forêt, trois troncs blancs (au cas où on n’aurait pas compris les références maçonniques de l’ouvrage, le chiffre 3 dominera tout le spectacle !), et puis une forêt plus tropicale que viennoise, où s’ébrouent Tamino tout de rouge vêtu, de pied en cape si l’on ose dire, et l’oiseleur Papageno genre hipster couvert de plumes multicolores. Ne reste bientôt qu’une futaie grise sur fond noir, et des flocons de fleurs qui tombent des cintres pour l’arrivée de la Reine de la nuit, échappée elle d’un concours de Drag Race. Les costumes sont plutôt cheap ; le rouge domine chez les protégés de la Reine de la nuit et, dans l’univers de Sarastro qu’on imagine solaire, le blanc et le blafard s’installent au milieu d’un temple de la Sagesse transposé dans un univers industriel et urbain…

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La Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch au TCE
© Vincent Pontet

Klapisch réussit certaines scènes – les apparitions des trois Dames comme celles des trois enfants – mais reste trop timide quand il s’agit d’exalter les sentiments et ressentiments : en dehors d’un Tamino en mouvement perpétuel, Pamina et Papageno semblent toujours un peu gourds, lorsque Sarastro ne se départ jamais d’un statisme sépulcral. Le seul qui fait le show, c’est Monostatos en soudard SM. Il manque à vrai dire à l’ensemble un mouvement général, une fantaisie, et même de la magie de l’enfance si présente dans cet ultime chef-d’œuvre de Mozart. Le trac d’un soir de première ?

Concernant les dialogues qu'il a traduits et pas mal écrits et réécrits, le metteur en scène hésite entre le respect componctueux du texte original et un humour très bobo – on notera les « tisanes d’herbes » de la Reine de la nuit ou la réponse de Papageno à Sarastro qui lui intime de « se comporter en homme » : « tellement genrée cette injonction » !

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La Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch au TCE
© Vincent Pontet

Musicalement, le spectacle se révèle inégal. D’une distribution en grande partie française, on pourrait attendre une parfaite diction de l’allemand, surtout dans un singspiel où la parole chantée est aussi essentielle et les airs aussi célèbres. Mais on a plusieurs fois été en peine de comprendre ce qui était chanté…

Ce reproche ne vaut pas pour les trois Dames, parfaites, de Judith van Wanroij, Isabelle Druet et Marion Lebègue. Pas non plus pour le Sarastro plus subtil que puissant de Jean Teitgen. On n’en voudra pas à Marc Mauillon d’en faire des tonnes en Monostatos, avec une voix toujours aussi souple.

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La Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch au TCE
© Vincent Pontet

La jeune Suissesse Regula Mühlemann est sans doute la Pamina du moment : voix lumineuse et fruitée, elle incarne plus qu’une douce jeune fille, une femme de caractère. Sa mère dans l’opéra, la Reine de la nuit, en revanche, surprend par sa méforme : ce n’est pourtant pas une prise de rôle pour Aleksandra Olczyk mais elle est vraiment à la peine surtout dans son air acrobatique de l’acte II.

Du côté des hommes, la balance est inégale : Florent Karrer compose un Papageno un peu fruste et monocolore vocalement. Pourtant Dieu sait si Mozart a confié à ce rôle de baryton toutes les séductions, des arias en forme de ritournelles populaires, des duos irrésistibles. Reste le Tamino de Cyrille Dubois, qui est, osons l’écrire, une erreur de casting. Ni le timbre ni le galbe de la voix, ni cette manière de gonfler le son, de passer en force tous les aigus, ne sont d’un ténor mozartien.

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La Flûte enchantée mise en scène par Cédric Klapisch au TCE
© Vincent Pontet

Les grands triomphateurs de cette Flûte sont incontestablement François-Xavier Roth et son merveilleux orchestre. Une formidable liberté, des moments d’une infinie tendresse, de subtiles variations de tempo et de couleurs à l’intérieur d’une même scène, des orages, des éclairs et des bruits d’oiseaux, comme des improvisations du basson ou de la flûte : l’enchantement est ce soir dans la fosse !

***11