« La Flûte enchantée » au Théâtre des Champs-Élysées : Klapisch débute à l’opéra sans faire son cinéma

- Publié le 15 novembre 2023 à 12:55
Première fois devant cette partition pour le chef, première fois à l’opéra pour le metteur en scène : François-Xavier Roth et Cédric Klapisch façonnent une Zauberflöte presque populaire avenue Montaigne, avant Compiègne et Tourcoing.
La Flûte enchantée, mise en scène de Cédric Klapisch

Cédric Klapisch s’est illustré au cinéma par de sympathiques comédies « chorales », à l’image de sa trilogie à succès L’Auberge espagnole, Les Poupées russes et Casse-tête chinois, dans une veine réaliste, peu portée sur le surnaturel si l’on excepte Peut-être, film d’anticipation dans un Paris ensablé. Comment allait-il aborder La Flûte enchantée, pour ses débuts à l’opéra ? En sortant de son espace naturel. Et donc en assumant la part de fantastique inscrite dans le chef-d’œuvre de Schikaneder et Mozart pour décrire le voyage initiatique de Tamino et Pamina de l’obscurité à la lumière.

Ni noir ni blanc

Dans la scénographie de Clémence Bezat, des troncs d’arbres bleus, des feuillages rouges suspendus colorent la forêt de la Reine de la Nuit, qu’animent les illustrations d’animaux et de monstres de Stéphane Blanquet ; dans l’autre monde, le temple de la sagesse à arcades de Sarastro trouve sa perspective dans les images digitales un peu glaçantes, dignes d’un data center, créées par Niccolo Casas. On comprend bien que tout n’est pas noir ou blanc du point de vue de Klapisch, que le souverain n’est guère plus aimable que la reine à ses yeux… Sans plonger dans des abîmes de perplexité philosophique, le réalisateur déroule un propos lisible et loyal, plutôt humble. À défaut de renouveler le genre, il fait preuve d’un brin d’originalité dans le mouvement des chanteurs, comédiens et figurantes (merci la chorégraphe Laura Bachman), d’élégance poétique (les costumes « couture » de Stéphane Rolland et Pierre Martinez, les lumières d’Alexis Kavyrchine y contribuent), de naïveté enfantine et populaire.

Parfum d’opéra-comique

La dimension populaire s’impose dans ce Singspiel né dans un faubourg de Vienne, qui dispense ici un parfum d’opéra-comique – Klapisch a adapté les dialogues en français pour en faciliter l’accès. Furtivement, les personnages « kiffent » de « ouf » et « hallucinent »… Par-delà ces facilités de langage, le metteur en scène ne s’en cache pas : en réécrivant, il a voulu gommer ce qu’il a pu percevoir de relents sexistes et misogynes dans la prose de Schikaneder. Les évocations du « consentement » féminin ou des « injonctions genrées » sont heureusement désamorcées par un second degré typique de Klapisch, qui reste à distance des catéchismes militants… et ironise, par la voix de Sarastro, sur l’obscurantisme vert de la Reine de la nuit, adepte des « tisanes végétales ».

Autres débuts remarquables : ceux de François-Xavier Roth dans Die Zauberflöte. Le chef a doté son orchestre Les Siècles, bien sonnant sur ses basses, d’instruments viennois de l’époque. La réalisation musicale ne manque pas de couleurs, d’ornements et même d’effets, avec des bruits d’oiseaux et autres sons d’ambiance très présents. Un léger manque de simplicité pourrait faire craindre pour l’efficacité du discours si le maestro ne veillait à la vie théâtrale que règle, par elle-même, la musique. Et les conceptions de Roth et Klapisch s’alignent dans la confiance accordée à la partition.

Bonheurs vocaux inégaux

De sens du jeu, le plateau ne manque pas non plus, ce qui ne compense pas tout à fait des bonheurs vocaux inégaux. La distribution largement francophone se saisit aisément des dialogues. Même la Pamina de Regula Mühlemann, qui ne parle pas dans sa langue, le fait avec éloquence, en plus d’exposer ses qualités de timbre et de ligne dans les parties chantées. On n’en dira pas autant d’Aleksandra Olczyk : cette Königin expérimentée n’ignore manifestement pas les enjeux dramatiques de l’emploi (et sa robe à traîne interminable pose bien le personnage) mais on a connu des Reines de la Nuit plus subtiles, c’est le moins qu’on puisse dire – méforme passagère, peut-être. En cette première, Cyrille Dubois (Tamino) met un peu de temps à libérer son chant, qui trouvera au cours de la soirée son rayonnement naturel comme ses teintes et son legato de miel. Constat proche pour le Sarastro de Jean Teitgen, enfin souverain et bien phrasé jusqu’au grave dans son larghetto. Florent Karrer et Catherine Trottmann campent un joli couple comique Papageno-Papagena, lui un peu surexposé vocalement sur une scène prestigieuse alors qu’elle paraît sous-utilisée au contraire. Le trio de dames (Judith van Wanroij, Isabelle Druet, Marion Lebègue) est luxueux et parfaitement équilibré. Quant au caméléon Marc Mauillon, il se glisse sans difficultés dans le cuir du vilain Monostatos, auquel son verbe pointu convient plutôt bien.

Le chœur Unikanti est bien chantant, tout comme les trois génies sortis de jeunes gosiers de la Maîtrise des Hauts-de-Seine, qui s’est fait une spécialité de ces rôles plus exigeants qu’il n’y paraît. Trois enfants traités avec soin par ce spectacle tous publics et, tout bien pesé, largement recommandable. 

La Flûte enchantée de Mozart. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 14 novembre. Représentations jusqu’au 24 novembre. Puis à Compiègne (Théâtre impérial) le 3 décembre et Tourcoing (Atelier lyrique) les 9 et 10 décembre.

Diapason