La Femme sans ombre à l'Opéra de Lyon
La Femme sans ombre à l'Opéra de Lyon © Bertrand Stofleth

Magistrale ouverture de saison à Lyon avec La Femme sans ombre

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L’Opéra de Lyon ouvre sa saison avec la première représentation en ses murs de La Femme sans ombre de Richard Strauss, dans une mise en scène de Mariusz Trelinski qui réinvente les grandes lignes de ce foisonnant conte initiatique porté par un remarquable plateau vocal et la direction de Daniele Rustioni.

L’argument de La Femme sans ombre, riche de symboles, n’est pas sans constituer une certaine gageure pour la scène et le spectateur. Si ce dernier peut certes se laisser emporter par une des partitions les plus chatoyantes de Richard Strauss, Mariusz Trelinski n’a pas renoncé à en rendre intelligible la richesse dramaturgique. Le décor sur lequel s’ouvre le rideau est marqué par l’onirisme : dans la chambre où dort l’héroïne pousse une palmeraie hors-sol, forêt où va chasser son époux autant que strate de son inconscient. Dessinée par Fabien Lédé, la scénographie où plane, massive, la pierre en laquelle l’Empereur risque d’être changé, met dos à dos le monde irréel des puissants, l’Empereur et sa femme, et celui du teinturier Barak, marqué par la trivialité du réel, avec une salle de bains et un miroir comme sas entre les deux, où une spirale sombre tourbillonnant comme un questionnement introspectif semble, telle un trou noir, vouloir attirer l’âme dans son abîme. Le contraste est relayé par les costumes conçus par Marek Adamski.

La Femme sans ombre à l'Opéra de Lyon
La Femme sans ombre à l’Opéra de Lyon © Bertrand Stofleth

A l’inverse d’une utilisation illustrative de la vidéo, les projections de Bartek Macias modèlent ici la texture visuelle en faisant ondoyer, à la manière d’un halo en symbiose avec les lumières tamisées de Marc Heinz, les frontières entre les deux univers. La rotation du plateau accompagne le passage de l’un à l’autre, au diapason du discours musical. A défaut de se laisser analyser dans tous ses détails, l’intrigue est ici jalonnée par ses repères essentiels. Sa porosité avec le rêve se confirme dans le finale. Après la saisissante césure où l’Impératrice refuse de récupérer une ombre au prix de la vie de la femme de Barak, la jubilation procréatrice démultiplie, avec une ambiguïté sinistre que l’on croirait sortie de l’imagination de Stephen King, des masques de pantin à la placidité que l’on imagine volontiers sadique, à la façon d’un cauchemar comme revers obscur de l’injonction au bonheur de la maternité.

La Femme sans ombre à l'Opéra de Lyon
La Femme sans ombre à l’Opéra de Lyon © Bertrand Stofleth

La puissance expressive de la musique est portée par un plateau vocal salué par le public. Dans le rôle-titre, Sara Jacubiak met ses moyens au service d’une incarnation nuancée, où le métal du soprano laisse progressivement affleurer les fêlures d’un être au seuil de l’humanité. En Empereur, Vincent Wolfsteiner se glisse dans l’héroïsme paradoxal du ténor straussien, pas toujours très gratifiant. En « Méphisto femelle », pour reprendre les mots avec lesquels Hofmannsthal qualifiait la Nourrice, Lindsay Ammann fait forte impression avec son mezzo homogène et implacable. Dans la maison du Barak aussi vigoureux que généreux campé par Josef Wagner, Ambur Braid fait mordre toutes les frustration de l’épouse, avec une émission large et lyrique qui contribue à restituer la complexité du personnage. Les trois frères de Barak, le Borgne, le Manchot et le Bossu, sont confiés aux jeunes artistes du Lyon Opéra Studio – Pawel Trojak, Pete Thanapat et Robert Lewis, ce dernier assumant également les interventions du jeune homme tout pailleté d’or – de même que les échos du Faucon et du Gardien du Temple, par Giulia Scopelliti, et la voix d’en-haut chantée par Thandiswa Mpongwana. Quant à Julian Orlishausen, il condense l’autorité du Messager des Esprits.

La Femme sans ombre à l'Opéra de Lyon
La Femme sans ombre à l’Opéra de Lyon © Bertrand Stofleth

Préparés par Benedict Kearns, les choeurs contribuent à la richesse du tissu musical straussien que Daniele Rustioni, avec des effectifs calibrés à la fosse de l’Opéra de Lyon, déploie avec une relative prudence, perceptible en début de soirée, mais qui, accompagnant la lisibilité du discours, en éclaire les sortilèges.

Gilles Charlassier

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