Monter un Ring est toujours une aventure. Mais avant même que ne débute cette très attendue Tétralogie bruxelloise qui s’étendra sur deux saisons, on pouvait partir de deux présupposés assez logiques. Le premier est que sur la foi des Lohengrin, Tristan et Parsifal déjà remarquablement dirigés par Alain Altinoglu, la partie musicale allait certainement être de premier ordre.

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L'Or du Rhin à La Monnaie
© Monika Rittershaus

Le second est qu’une fois de plus, on ne savait pas trop à quoi s’attendre de la part de Romeo Castellucci. S’il est permis de reprocher au déconcertant metteur en scène italien des tics et des procédés parfois lourdement insistants, il faut cependant aussi lui reconnaître une réelle qualité, parfois enfouie sous ses maniérismes énervants : loin des mises en scène platement illustratives ou gratuitement provocatrices de nombre de ses confrères, il a le talent d’interroger l’œuvre au plus près, de sortir le spectateur de sa zone de confort et de poser des questions souvent extrêmement pertinentes.

Son début de L'Or du Rhin est réellement saisissant. Avant même que ne débute le célèbre prélude, apparaît sur la scène de La Monnaie plongée dans le noir un immense anneau doré descendant des cintres et qui, à peine touchée la scène, tourne doucement sur lui-même avant de s’écraser avec fracas. L’apparition des trois Filles du Rhin accompagnées de trois danseuses se détachant de l’obscurité toutes illuminées d’ocre est un ravissement et on comprend sans peine l’émoi d’Alberich.

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L'Or du Rhin à La Monnaie
© Monika Rittershaus

Le décor conçu par Castellucci fait du Walhalla une salle vaste et claire couverte de bas-reliefs hellénistiques, sur le sol de laquelle rampent des dizaines de figurants en maillot chair qu’enjambent avec plus ou moins d’égards les dieux – on reconnaît Wotan et Fricka à leurs couronnes – et demi-dieux qui demeurent en ce palais. Cette foule grouillante représente-t-elle le cours du Rhin toujours changeant ou une humanité piétinée par les occupants du Walhalla ? Impossible de le dire. 

Castellucci se laisse parfois aller à des procédés énervants ou difficilement compréhensibles, comme lorsque Loge macule au moyen de projectiles remplis d’encre de grandes photos en noir et blanc d’illustres interprètes wagnériens du passé (mais aussi du Wotan de Gábor Bretz qui lui fait face sur scène) ou glisse deux objets ovoïdes dans sa chaussette gauche jaune pâle. Quant à la remise du trésor (invisible ici) aux géants pour obtenir la libération de Freia (l’otage est amenée sur scène dans un sac-poubelle), elle est ici accompagnée de la descente des cintres de deux gigantesques alligators noirs, et c’est d’un puissant coup de saurien que Fafner tuera Fasolt.

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L'Or du Rhin à La Monnaie
© Monika Rittershaus

La mise à nu par Castellucci des rapports de pouvoir est en revanche remarquable, comme dans son traitement des confrontations entre Wotan et les géants ou du rapport de domination entre Alberich et Mime. Paradoxalement aidé par le Wotan assez effacé vocalement et scéniquement de Bretz, le Loge puissant, incisif et manipulateur de Nicky Spence, aussi bon comédien que chanteur, est ici le grand ordonnateur de l’intrigue. Scott Hendricks incarne un Alberich mordant et torturé, mais aussi tragique quand Wotan et Loge le torturent cruellement, le pendant par les mains et l’arrosant de pétrole.

La distribution, homogène et de qualité, peut également compter sur les superbes Filles du Rhin d’Eléonore Marguerre, Jelena Kordić et Christel Loetzsch, la digne Fricka de Marie-Nicole Lemieux, la déchirante Freia d’Anett Fritsch et l'Erda chaleureuse de Nora Gubisch.

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L'Or du Rhin à La Monnaie
© MonikaRittershaus

Peter Hoare campe un Mime désespéré, alors que les basses Ante Jerkunica (Fasolt) et Wilhelm Schwinghammer (Fafner) sont des géants de très grande classe, dont Castellucci met en exergue une étrange gémellité jusqu’à souvent leur faire chanter certains passages ensemble (et non en alternance comme l'indique la partition originale), avant que le meurtre de Fasolt par Fafner ne renvoie irrésistiblement à l’histoire de Caïn et Abel. 

Comme toujours chez Wagner, L’Or du Rhin est bien sûr un opéra de chef. Alain Altinoglu a pleinement la mesure de cette partition dont, à la tête d’un orchestre remarquablement sûr, il offre une interprétation où l’intensité du propos va de pair avec une superbe clarté et un équilibre sonore de tous les instants. 

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