Si l’on peut reprocher à certaines productions une forme de nombrilisme, notamment par l’utilisation et le détournement des œuvres au profit de la vision parfois radicale d’un metteur en scène, force est de constater que la Cenerentola de Damiano Michieletto, présentée jusqu'au 19 octobre au Théâtre des Champs-Élysées, prend le contre-pied de cette philosophie, malgré sa transposition à l’époque contemporaine – tandis qu’une cantine sans prétention représente le palais décrépit de Don Magnifico, le pavillon de Don Ramiro est quant à lui figuré par un loft chic et design.

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La Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées
© Vincent Pontet

N’ayant rien d’incompatible avec cette transposition, l’authenticité rossinienne est partout présente, et en premier lieu dans ces décors : étagés et formant un angle droit, ceux-ci permettent – par le renforcement de la perspective – une circulation optimale et pertinente des chanteurs sur la scène, accentuant le comique de situation d'un opéra qui en est riche. Ensuite, la synchronicité parfaite entre le rythme de la fosse et celui de la scène – grâce au travail du scénographe Paolo Fantin et de la chorégraphe Chiara Vecchi – favorise la fluidité de l’action et amène les chanteurs à profiter des nombreux rebondissements musicaux pour laisser libre cours à leurs qualités de comédiens. Enfin, l’ingéniosité et l’imagination de Michieletto lui permettent de répondre au double impératif – dramatique et comique – de ce dramma giocoso tout en maintenant le spectateur au faîte de son attention, quitte à parfois surcharger d’artifices la scène du Théâtre des Champs-Élysées.

La qualité première de cette mise en scène tient au traitement singulier du personnage d’Alidoro ; s’il est déjà omniscient dans le livret de Ferretti, le mendiant-philosophe semble ici doté de pouvoirs surnaturels et apparaît alors comme le véritable architecte de ce conte moral : capable d’agir sur l’espace et le temps à l’insu des protagonistes, c’est lui qui habillera Angelina et la transportera chez Don Ramiro, c’est lui qui ridiculisera Don Magnifico en le coiffant d’une tête d’âne, c’est lui également qui tirera les flèches de cupidon dans le finale de l’acte I.

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La Cenerentola au Théâtre des Champs-Élysées
© Vincent Pontet

Comment se fait-il alors, malgré toutes ses qualités, que cette mise en scène nous paraisse aussi impersonnelle ? Certes La Cenerentola n’est pas nécessairement facteur des plus hauts degrés d’émotion, mais peut-être la banalité des costumes et la froideur des décors n’ont-elles pas aidé à développer la moindre poésie, laissant ainsi le sentiment d’une maîtrise un peu prosaïque. Peut-être l’inégalité de la distribution y est-elle également pour quelque chose.

Sans surprise, Marina Viotti se montre sous son meilleur jour dans le rôle d’Angelina : pourtant très à l’aise avec les multiples vocalises de sa Cendrillon, la mezzo ne donne jamais dans la démonstration gratuite et subordonne la virtuosité à l’incarnation, à l’affirmation de la souillon qui entremêlera au « triomphe de la bonté » celui de la vengeance. Le duo qu’elle forme avec Don Ramiro apparaît alors d’autant plus déséquilibré que le ténor Levy Sekgapane ne parviendra en ce soir de première à trouver ni sa voix – notamment dans le médium, très pauvre en timbre et en harmoniques – ni l’incarnation aristocratique de son personnage.

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Marina Viotti (Angelina) et Levy Sekgapane (Don Ramiro)
© Vincent Pontet

Heureusement, c’est le convaincant Dandini d’Edward Nelson qui, les deux premiers tiers de l’œuvre, troque son habit de valet pour celui de maître ; vocalement excellent dans le (faux) rôle du prince, le baryton manque néanmoins de ce caractère espiègle qui, au terme de la supercherie, sied au fidèle domestique dans ses dernières interactions avec Don Magnifico. Car incarné par un tel Peter Kálmán, c’est bien le tyran-bouffon qui domine le plateau vocal : malgré l’écriture redoutable de sa partie, le timbre du baryton-basse est celui d’un véritable patriarche, l’expression est juste et la technique irréprochable. Seul l’Alidoro d’Alexandros Stavrakakis« ange investi d’une mission » selon Michieletto – parviendra à ce niveau de maîtrise, notamment dans son époustouflant « Là del ciel nell’arcano profondo », certes un peu excessif mais jouissif par l’ampleur sonore que la basse y insuffle. Enfin, le duo formé par Alice Rossi et Justyna Ołów, parfaites de vulgarité en Clorinda et Tisbe, conclut la distribution sur une note positive.

Dirigés d’une main de maître par Thomas Hengelbrock, les instruments d’époque du Balthasar Neumann Ensemble participent pleinement de la réussite de cette production, tant par l’ardeur et la ciselure de leurs interventions que par l’accompagnement idéal des chanteurs.

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