Au Théâtre des Champs-Elysées, une Cenerentola en panne de poésie

- Publié le 12 octobre 2023 à 11:43
Déjà passé par Salzbourg et Dresde, le spectacle de Damiano Michieletto a au moins le mérite de respecter la narration, dont les péripéties restent compréhensibles. Marina Viotti triomphe dans le rôle-titre, mais la direction musicale de Thomas Hengelbrock déroute parfois.
La Cenerentola de Rossini

Cendrillon, la technicienne de surface, joue du balais-serpillère et manque de finir la tête dans son seau. Le logis délabré de Don Magnifico s’est transformé en une minable cafétéria aux meubles d’aluminium et aux murs couverts de carrelage blanc. Blanc, également le marbre qui orne le bar branché servant de demeure princière. Dans ce décor guère chaleureux, Damiano Michieletto règle un spectacle qui a au moins le mérite de respecter la narration, dont les péripéties restent compréhensibles – à notre époque, c’est déjà beaucoup. Mais on cherche en vain la vis comica rossinienne, la direction d’acteurs peinant à donner relief et profondeur aux personnages, en particulier ceux qui devraient être les plus truculents, Magnifico et Dandini. La plupart des gags tombent plutôt à plat. Doit-on se réjouir de voir Cendrillon, pendant sa cabalette finale, offrir des gants de ménage à tout ce petit monde qui se retrouve à genoux à laver le sol ?

Présence lumineuse

Heureusement, on peut compter sur la présence lumineuse et le timbre moelleux de Marina Viotti pour apporter à l’ensemble le soupçon de poésie nostalgique qui fait défaut. Beauté des graves, longueur de souffle, ligne de chant homogène, vont de pair avec une indéniable agilité qui permet à cette Angelina de se jouer des vocalises les plus ardues – dommage, cependant, que celles-ci soient parfois détimbrées et manquent un peu de chair. Belle et riche basse, l’Alidoro d’Alexandros Stavrakakis se distingue également, autant par son autorité vocale que scénique.

Si Levy Sekgapane possède la souplesse et les aigus triomphaux de Ramiro, la voix s’avère assez fluette, privant l’incarnation de l’insolence qui devrait nous griser dans les passages virtuoses. En raison d’un volume également limité, Edward Nelson campe un Dandini tout juste honorable, sans grande aisance, et surtout sans la gouaille qu’il faudrait à ce valet cherchant à jouer les princes. Tout en maîtrisant parfaitement les secrets du chant rossinien, Peter Kalman souffre de ce même défaut : avec ses allures de mafioso uniformément méchant, ce Don Magnifico n’a pas la verve bouffonne qui fait le charme du personnage. Alice Rossi et Justyna Olow sont en revanche impeccables en sœurs infectes et prétentieuses, arborant fièrement robes à paillettes ou survêtements de velours rose.

A la tête de l’Orchestre Balthasar Neumann, Thomas Hengelbrock peine lui aussi à souligner le subtil alliage entre comique et romantisme dont est porteuse la partition. Les tempos sont souvent déroutants, certains passages traînant en longueur, d’autres se révélant excessivement frénétiques, comme le concertato de l’acte II (« Questo è un nodo avviluppato »), si nerveux que sont gommés les savoureux jeux de rebonds entre les mots. Ce que l’on remarque à peine, certes, trop occupés à regarder les artistes se faire enrober dans un film plastique…

La Cenerentola de Rossini. Paris, Théâtre des Champs-Elysées, le 9 octobre. Représentations jusqu’au 19 octobre.

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