A Pesaro, “Eduardo e Cristina” conçu comme une installation

- Publié le 16 août 2023 à 16:41
Il était temps que le méconnu "Eduardo e Cristina” soit enfin représenté dans la ville de Rossini. Mais Stefano Poda signe une production plus esthétisante que théâtrale, dominée par la Cristina d’Anastasia Bartoli et la direction de Jader Bignamini.
Eduardo e Cristina de Rossini

Eduardo e Cristina, Aureliano in Palmira, Adelaide di Borgogna : pour sa quarante-quatrième édition, Pesaro affiche des Rossini plutôt rares. Le premier, d’ailleurs, n’y avait pas encore été représenté, alors que le festival a monté, depuis sa création, presque quarante ouvrages du plus illustre des enfants de la cité des Marches. Il est vrai que ce dramma per musica créé à Venise le 24 avril 1819 est un centone, recyclage de numéros d’opéras antérieurs, Ermione, Adelaide di Borgogna, Ricciardo e Zoraide en particulier. Sans compter un air emprunté à Odoardo e Cristina de Stefano Pavesi, composé sur un premier livret, pas moins réutilisé ici. Surchargé de travail, Rossini n’avait guère le choix. Le recyclage, de toute façon, était une pratique courante – et avait, par le passé, donné naissance à des chefs-d’œuvre tels que la Messe en si de Bach ou le Rinaldo de Handel.

Si le premier acte paraît parfois se traîner, le second convainc pleinement et l’on s’intéresse à cette histoire d’enfant caché, fruit des amours clandestines d’un soldat et de la fille du roi de Suède, qui, lieto fine oblige, échappent au châtiment suprême quand le militaire boute les Russes hors du royaume : le monarque pardonne et le prince d’Ecosse Giacomo, auquel il destinait sa fille, cherchera une autre épouse. On connaît certes des Rossini plus absolus, mais celui-ci vaut d’être réhabilité, comme l’avait montré, en 1997 et en 2017, le festival Rossini de Wildbad.

« Installation » plus que mise en scène

Avec ses corps enfermés dans des cages de verre, qui semblent faits de glaise, fantômes de guerriers ou doubles des personnages, la production de Stefano Poda se situe à mille lieues du seria rossinien. N’a-t-il pas, de toute façon, conçu sa mise en scène comme « une installation d’art contemporain » dans un musée, tenant parfois du rituel ? C’est plastiquement très beau, mais la direction d’acteur s’avère minimale, comme si l’histoire, au fond, ne l’intéressait pas, comme s’il s’attachait plus aux spectres qu’aux protagonistes. Il ne parvient pas, du coup, à représenter la violence de ce « monde fait de tension ou de guerre » qu’il évoque lui-même. Et l’envahissante chorégraphie du metteur en scène ennuie très vite à force de répéter les mêmes figures, malgré l’émouvante présence de l’enfant ballotté entre des forces contraires. La très symbolique image de fin, sculpture géante reconstituée pour représenter un couple enlacé au moment du pardon royal, pèse un peu lourd. D’abord concepteur d’images, l’Italien, comme souvent, a surtout planté un décor esthétisant, baigné ici d’une magnifique lumière blanche.

Distribution inégale

Heureusement, Jader Bignamini lui, croit à l’œuvre, qu’il dirige plutôt comme un grand opéra romantique et dont il restitue généreusement la puissance et les couleurs. N’était une certaine astringence du timbre, surtout dans l’aigu, la Cristina d’Anastasia Bartoli aurait tout pour séduire : une voix longue, aux registres fièrement projetés, une ligne polie, une colorature affûtée, un vrai tempérament dramatique – la fille de Cecilia Gasdia a été à bonne école. Daniela Barcellona déséquilibre le couple : si la grande rossinienne se retrouve, par la noblesse du phrasé et l’agilité de la vocalise, le médium et le grave de son Eduardo ont perdu tout soutien et ne se projettent pas, défaut rédhibitoire pour un rôle de contralto musico. Enea Scala est tel qu’en lui-même : timbre nasal et claironnant, aigus contondants, graves profonds de vrai baryténor aussi, inépuisable endurance, mais ce père courroucé se montre plus porté sur l’éclat que sur la nuance. Le Giacomo de Grigory Shkarupa et, surtout, l’Altei de Matteo Roma, jeune pousse très prometteuse malgré un aigu contraint, complètent avantageusement le cast.

Eduardo e Cristina de Rossini. Pesaro, Vitrifrigo Arena, le 11 août.

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