L'Opéra national du Capitole conclut sa saison avec l'entrée à son répertoire du Mefistofele d’Arrigo Boito, créé en 1868 et donné actuellement à Toulouse dans sa seconde version de 1875. Après tant de compositeurs (Berlioz, Schumann, Wagner, Liszt, Gounod...), ce compositeur italien s’est attaqué, non sans mal, au Faust de Goethe, illustrant à merveille la réplique de l'auteur allemand : « se charger d’un fou finit par être fatal au démon lui-même ».

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Mefistofele à l'Opéra national du Capitole
© Mirco Magliocca

Le maestro Francesco Angelico mène avec brio une musique composite, dont l’écriture fait tantôt appel à Wagner, tantôt à Verdi, parfois suffisante en elle-même, parfois au service strict du texte, mais dont les accents personnels manquent un peu. Le spectateur vit ainsi de beaux moments suspensifs (par exemple en ouverture), des passages de saturation progressive lors de certains nœuds narratifs, ou encore une gestion de l’espace particulière avec plusieurs instruments annonçant des arrivées depuis les coulisses comme les trombones et trompettes. Les Chœurs et la Maîtrise du Capitole, bien réglés par Gabriel Bourgoin, confirment toute la richesse de l’œuvre, venant marquer les moments d’apothéose comme d’intensité dramatique, sur le plateau comme en arrière-scène.

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Mefistofele à l'Opéra national du Capitole
© Mirco Magliocca

On aurait pu craindre une mise en scène cherchant à suivre une œuvre très (trop) érudite dans ses références littéraires comme musicales, mais Jean-Louis Grinda propose finalement tout autre chose, avec plusieurs actualisations autonomes mais bien dosées : au milieu des costumes de Buki Shiff qui offrent un melting-pot d’époques et de styles variés, le ballon-globe avec lequel s’amuse Mefistofele présente ainsi une forte ressemblance avec le Great Dictator de Charles Chaplin. Les décors de Laurent Castaingt sont minimalistes et les lumières choisies : Mefistofele passe du rouge au vert jusqu’à perdre sa couleur, alors que Faust va vers une lumière de plus en plus intense.

Le cœur de la mise en scène réside sur le jeu autour de la pente douce descendant vers le public et trouve surtout son dynamisme dans la vidéo d’Arnaud Pottier. Les filtres au-devant de la scène comme le fond circulaire sont en effet en permanence utilisés mais avec une belle subtilité, recevant de l’image de synthèse représentative de la psychologie du moment (une brume, un arbre qui se meurt, une forêt sombre, un vitrail, la voie lactée, etc.). Ce dispositif permet également de démultiplier le nombre de personnages sur scène, comme pour la scène d’assemblée des anges en début et en fin d’opéra, accentuant à souhait l’aspect fantastique de l’œuvre.

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Mefistofele à l'Opéra national du Capitole
© Mirco Magliocca

Dans le rôle-titre, Nicolas Courjal est excellent, même s’il met un peu de temps à en imposer avec sa voix de basse et son rire sardonique. Il assortit à son costume foncé et pailleté un chant rutilant et orné, parfois détonant, parfois langoureux, sans toutefois verser dans l’obscénité. Mouvements et expressions fasciales en font un parfait diablotin ! Il livre la réplique à un Jean-François Borras plus statique en Dr. Faust. Les pouvoirs du diable faisant leur effet, celui-ci se démaquille et enlève ses cheveux gris, devenant subitement plus jeune : sa voix devient d’autant plus puissante et épanouie, même si l’on reste loin d’une chevauchée berliozienne.

Mais c’est sans doute Chiara Isotton qui est la plus présente en termes d’intensité dramatique – elle ressort par exemple clairement de son trio avec les deux chanteurs susnommés. En Margherita corrompue indirectement par Faust, ce qui la conduit au matricide et à l’infanticide, la soprano livre un air de bravoure particulièrement poignant. Projeté dans l’Antiquité, Faust rencontre Béatrice Uria-Monzon en Elena au temps de la guerre de Troie. Forte de sa robe dorée et flanquée de ses hoplites, la mezzo habituée des planches toulousaines livre une prestation puissante mais peu nuancée.

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Mefistofele à l'Opéra national du Capitole
© Mirco Magliocca

Foisonnant d’idées mais proposant une représentation claire et au service du texte, la mise en scène de Jean-Louis Grinda remplit un beau défi : donner toute sa place et sa valeur à cette autre version de Faust qui aurait pu souffrir de ses concurrents historiques ayant connu une meilleure audience. Il n’en est rien, non seulement grâce à un plateau vocal extrêmement solide et à l’aise, mais aussi grâce à une utilisation bien dosée de la vidéo. La victoire de Dieu sur Mefistofele est représentée sans lourdeur mais au contraire comme une élévation, tandis que les costumes volontairement bariolés amènent une modernité au propos déjà universel de Goethe sur la condition humaine. Ainsi la saison s’achève comme elle a commencé, avec le panache de la nouveauté et la sérénité de la qualité.

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