Compositeur prolixe et cultivé à l’indiscutable talent, fêté en son temps comme un véritable phare de la musique française, Camille Saint-Saëns aborda durant sa longue carrière à peu près tous les genres, mais ce n’est pas dans l’opéra qu’il obtint ses plus grands succès et seul Samson et Dalila, cet opéra-oratorio hybride, s’est maintenu au répertoire. Raison de plus pour saluer l’initiative de l’infatigable Peter de Caluwe qui entendait déjà monter à La Monnaie Henry VIII – cinquième des treize opéras de l’auteur – à l’occasion du centenaire de la mort du compositeur en 2021, projet hélas reporté en raison de la pandémie et enfin réalisé maintenant. 

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Nora Gubisch (Anne Boleyn), Lionel Lhote (Henry VIII), Claire Antoine (Lady Clarence)
© Baus

Cette œuvre ambitieuse et de vastes dimensions narre l’épisode bien connu où, n’obtenant pas l’aval du Vatican pour divorcer de son épouse Catherine d’Aragon afin d’épouser Anne Boleyn, une des dames d’honneur de cette dernière, Henry VIII n’hésitera pas à rompre avec Rome pour fonder l’église d’Angleterre dont il prendra la tête. 

On a ici de quoi faire de l’excellent opéra, d’autant que la maison bruxelloise a réuni une distribution de premier ordre et que tant les chœurs (préparés par Stefano Visconti) que l’orchestre placé sous la baguette à la fois autoritaire et sensible du directeur musical Alain Altinoglu s’impliquent à fond dans cette partition qui n’avait plus été entendue à Bruxelles depuis 1953.

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Henry VIII à La Monnaie
© Baus

Le style de Saint-Saëns est assez particulier. Outre quelques petits rappels à la musique anglaise de l’époque dénichés dans la bibliothèque du palais de Buckingham, il sort de l’alternance récitatifs-airs, optant pour des dialogues continus qui sentent leur Wagner, et n’écrit que bien peu d’airs, dont aucun n’est vraiment mémorable, ainsi que quelques chœurs puissants. En revanche, il accorde la plus grande attention à la prosodie et à l’intelligibilité du texte auquel un ensemble de chanteurs largement francophones apporte un soin de tous les instants.

La distribution mérite les plus vifs éloges, à commencer avec le superbe Henry VIII de Lionel Lhote. Le baryton belge chante superbement et excelle à rendre l’ambition, la vanité, la duplicité, la sexualité débordante et le manque total de scrupules de ce très antipathique personnage. Autre baryton, Werner Van Mechelen est irréprochable en duc de Norfolk. Marie-Adeline Henry est une superbe Catherine d’Aragon, dont elle rend avec un soprano clair et parfaitement mené la dignité et la noblesse, tandis que Nora Gubisch met son riche mezzo au service d’une Anne Boleyn qui s’interroge sur ses sentiments pour Henry mais que le vertige du pouvoir enivre. La basse Vincent Le Texier incarne avec autorité un Légat du Pape dont les imprécations restent sans effet sur le Roi, alors que, seul personnage masculin sympathique, Don Gomez de Féria – ambassadeur d’Espagne, amoureux déçu d’Anne et confident de Catherine – est bien servi par le délicat ténor d’Ed Lyon.

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Henry VIII à La Monnaie
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Le propos de la mise en scène signée Olivier Py n’est pas toujours parfaitement discernable et certains de ses partis pris ou tics – déjà vus dans d’autres productions – peuvent irriter. C’est ainsi que, sur fond d’un ingénieux décor invariablement noir signé comme les costumes par Pierre-André Weitz, l’époque de l’action est déplacée vers un XIXe siècle finissant, tous les personnages masculins étant vêtus d’un pantalon, redingote et gilet noirs, chemise blanche, cravate noire et haut-de-forme. À l’exception de Catherine d’Aragon en tenue d’époque et d’Anne Boleyn dans une robe rouge (couleur de la passion), les autres dames sont vêtues d’une robe à crinoline tout aussi noire et coiffées elles aussi d’un haut-de-forme. Une brillante trouvaille consiste cependant, tout au début de l’opéra, à faire endosser par le roi la fameuse tenue dorée et le chapeau plat à plume du célèbre portrait de Henry VIII par Holbein alors qu’il pose pour une photo prise par un photographe qui déclenche un flash au magnésium.

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Henry VIII à La Monnaie
© Baus

On appréciera diversement les interventions répétées de danseurs plus ou moins dévêtus, dont un étonnant ballet au troisième acte où apparaissent l’un après l’autre, sortis d’une fente dans une toile du Tintoret, des danseuses et danseurs vêtus d’un curieux slip chair, voire – pour deux des danseurs – n’en portant pas du tout. Il y a aussi une espèce d’horreur du vide chez Olivier Py qui le pousse à ajouter des personnages supplémentaires dont on se demande ce qu’ils font là, comme dans ce poignant dialogue entre Catherine et Anne à l’acte IV où interviennent deux danseuses vêtues de noir et tenant chacune une aile d’ange. Quant à la spectaculaire apparition d’une locomotive traversant un mur à ce même acte – beau morceau de bravoure de la brillante équipe technique de La Monnaie –, on se demande ce qu’elle apporte vraiment au spectacle.

Mais Olivier Py comprend fort bien les ressorts du grand opéra et signe quelques scènes saisissantes, comme ce conclave où les prélats vertus de rouge et serrés sur une tribune sanctionneront le schisme avant de retirer les robes passées sur leurs costumes civils et de redevenir le peuple qu’Henry prend à témoin.

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