Il faut féliciter Alain Perroux et ses équipes de l’Opéra national du Rhin d’avoir eu le courage et l’idée de reprogrammer cette production du Conte du Tsar Saltane de Rimski-Korsakov, mise en scène par Dmitri Tcherniakov et créée en 2019 à La Monnaie de Bruxelles. Le courage car, dans un contexte d’inflation des coûts et des dépenses, la reprise de cette production demande des moyens très importants et a même obligé la maison à supprimer une représentation à Mulhouse et à présenter la deuxième en version concert. Le courage nécessaire aussi, dans le contexte géopolitique actuel, de programmer dans la cadre du festival Arsmondo slave porté par l’institution rhénane, une œuvre russe montée par un metteur en scène russe et une équipe en partie ukraino-russe.

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Le Conte du tsar Saltane à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Saluer l’idée ensuite car cette production, comme nous l'avions mentionné lors de sa création bruxelloise, est une très grande réussite. Autour de ce conte populaire, inspiré de Pouchkine, Tcherniakov installe une sous-fiction qui explore les liens de communication et de dépendance qu’une mère met en place avec son fils atteint d’une forme d’autisme. Dans une première scène, la mère nous le présente, mutique, jouant avec des poupées russes, un écureuil rouge et une princesse en poupée : adjuvants du conte à venir. Pour elle, le moment est venu de lui parler de son père, absent depuis longtemps, qu’elle a autrefois tant aimé. Dans le monde mental de l’enfant, les contes lus par sa mère dans son enfance sont la seule porte d’entrée possible vers lui. Le récit du père passera par l’évocation du conte du tsar Saltane. Le glissement opère en subtilité et dans un souci infini du détail, réplique après réplique.

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Le Conte du tsar Saltane à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Cette habile mise en abyme permet à la mère de convoquer, puis d’être rapidement submergée par les figures du conte qui entrent depuis la salle à cour et jardin. Des personnages pastels, traditionnels et tout droit sortis de l’imaginaire folklorique d’un album russe pour enfants défilent devant nous. Les costumes d’Elena Zaytseva sont éblouissants de beauté. L’opéra prend vie. Le jeu relève d’un formalisme façon dessin animé. En deux scènes, Tcherniakov fait dialoguer Meyerhold et Stanislavski, formalisme et naturalisme, les deux principales écoles russes de théâtre du XXe siècle. Puis, effet de surprise, une troisième typologie apparait dès l’acte II jusqu’à la fin avec le merveilleux folioscope vidéo dessiné devant nous, bulle mentale du jeune Tsarevitch qui plonge alors, par moments littéralement, dans le conte. « Tout m’apparait comme dans un rêve », s’exclame-t-il de sa voix émancipée. C’est que la proposition de Tcherniakov est un acte de foi absolu en la fiction, et donc en l’opéra et en l’enfance de l’art. C’est bouleversant. Et si dans ce conte classique la trinité s’invite partout, dans la fiction proposée, l’enfant malade devient l’équilibre entre le père et la mère à la fin de nouveau réunis, entre le monde subi et le monde sublimé, mais simplement aussi le passeur orphique de la réalité vers la fiction.

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Le Conte du tsar Saltane à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Musicalement, la distribution est identique à celle de la création à La Monnaie à l’exception de la Tsarine interprétée ici par Tatiana Pavlovskaja, qui a repris au vol ce rôle titanesque deux semaines avant la première. Le jeu est encore un peu appuyé par moments et cela affecte aussi la voix dans un parcours qui reste globalement tout à fait convaincant. Tcherniakov tient à ce que ses chanteurs soient identiques quand ses productions tournent, et cela porte ses fruits. Bogdan Volkov nous livre une véritable performance d’actor studio en jeune autiste dans le rôle du Tsarévitch Guidon. Chaque apparition de Julia Muzychenko en Princesse-cygne nous ramène droit en enfance avec sa voix de colorature d’une pureté et d’une clarté digne des plus grands Walt Disney. Ante Jerkunica était annoncé souffrant mais son Tsar Saltane est d’une parfaite tenue, à l’image de tout le reste de la distribution.

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Le Conte du tsar Saltane à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

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Le Conte du tsar Saltane à l'Opéra national du Rhin
© Klara Beck

Dans la fosse, Aziz Shokhakimov travaille le relief qui manquait la veille au Falstaff lillois, jouant avec emphase tous les recoins d’une partition qui nous fait par exemple passer d’une marche militaire à une berceuse en quelques mesures. L’Orchestre philharmonique de Strasbourg répond avec joie à ces sollicitations, offrant régulièrement de très beaux solos pour chacun des pupitres. Saluons aussi le Chœur de l’Opéra national du Rhin, parfaitement impliqué vocalement et scéniquement dans une partition colossale.

Enfin, rendons hommage à chacun des corps de métiers de l’Opéra national du Rhin, costumiers, décorateurs, éclairagistes, machinistes, vidéastes, assistants qui, en relevant le défi de cette production extraordinaire où tout est réglé au cordeau, contribuent à la réussite de cette soirée mémorable.


Le voyage de Romain a été pris en charge par l'Opéra national du Rhin.

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