“Ariodante” à l’Opéra de Paris : règlement de comptes à Balmoral

Vingt-quatre ans après les débuts parisiens de son “Alcina”, Robert Carsen monte un nouvel opéra haendélien au palais Garnier, et en profite pour faire un clin d’œil à l’actualité royale britannique. À découvrir in situ jusqu’au 20 mai.

L’opéra de Robert Carsen sera retransmis en direct le 11 mai sur la plateforme de streaming de l’Opéra de Paris.

L’opéra de Robert Carsen sera retransmis en direct le 11 mai sur la plateforme de streaming de l’Opéra de Paris. Photo Agathe Poupeney / Opéra national de Paris

Par Sophie Bourdais

Publié le 06 mai 2023 à 14h00

Charles III n’était pas encore couronné que les royales querelles de succession battaient déjà leur plein à l’Opéra de Paris. En lice sur le plateau du palais Garnier, depuis la fin avril et jusqu’au 20 mai, un château écossais aux murs tapissés de vert et de trophées de chasse, un vieux roi fatigué d’être père autant que de régner, deux frères épris de jeunes femmes aux personnalités fort différentes, une couronne promise à l’aîné, des intrigues à foison dans les couloirs et, partout, des hordes de paparazzis avides de rumeurs et de scandales.

Même s’il est question d’un opéra baroque composé au XVIIe siècle d’après un poème chevaleresque du XVIe (Orlando Furioso, de l’Arioste), toute coïncidence avec la réalité n’a rien de fortuit. D’abord parce qu’Ariodante, de Georg Friedrich Haendel, se déroule effectivement outre-Manche : la princesse Ginevra, fille du roi d’Écosse, est sur le point d’épouser le noble et charismatique Ariodante et de monter sur le trône avec lui. Mais les manigances de Polinesso, fourbe duc d’Albany précédemment éconduit par la princesse, ruinent les espoirs des amoureux en même temps que la réputation de l’innocente Ginevra. Cette dernière frôle la folie, aggravée par la nouvelle du suicide d’Ariodante…

Robert Carsen, haendélien fervent (on a revu son Alcina en 2021 au palais Garnier) et artisan scénique de cette nouvelle production, a transféré l’intrigue à la cour des Windsor, et semé sa mise en scène de références visuelles aux habitudes et vicissitudes de l’actuelle famille royale britannique, creusant avec efficacité la psychologie des personnages et la piste d’une rivalité non formulée entre Ariodante et son frère Lurcanio, lequel se fera l’accusateur principal de Ginevra.

Grâce androgyne et sidérante aisance vocale

Tout est pertinent, stimulant, jusqu’à l’improbable happy end revisité par Carsen avec une malice joyeuse. Festives ou effrayantes (superbe scène de cauchemar dans la chambre de Ginevra), les danses participent activement de la dynamique narrative. On a craint un moment de ne pouvoir profiter de tant d’imagination, la première du 20 avril ayant eu lieu en version de concert pour cause de « mouvement de grève national et interprofessionnel », et la deuxième représentation ayant été tout simplement annulée. Mais le soir du dimanche 30 avril, dans un palais Garnier bien rempli, Ariodante était redevenu un spectacle total où tout fonctionnait de manière osmotique : le jeu précis, sur instruments d’époque de l’ensemble The English Concert, l’élégante scénographie de Carsen et Luis F. Carvalho, jouant avec la perspective, la lumière et les tartans écossais, la chorégraphie au cordeau de Nicolas Paul, mixant folklore et danses de cour, et les prestations d’un plateau homogène et de chœurs (de l’Opéra de Paris) convaincants dans le chant comme dans la comédie.

Révélation de la soirée, la mezzo-soprano Emily d’Angelo endosse le rôle-titre, confié à la création de 1735 au castrat Giovanni Carestini, avec un parfait mélange de grâce androgyne et de sidérante aisance vocale. Particulièrement admirables sont aussi la Ginevra d’Olga Kulchynska, au soprano gracile et voluptueux, et le Polinesso virtuose et savoureusement méchant du contre-ténor Christophe Dumaux. Un rien trop sage et corsetée au premier acte, la direction musicale de Harry Bicket se libère aux suivants, notamment dans l’accompagnement de la grande et sublime aria d’Ariodante, Scherza infida, que les musiciens de l’English Concert accompagnent avec des trésors de délicatesse et de compassion, comme s’il s’agissait de bercer un grand blessé. Ginevra aura droit aux mêmes égards quand elle chantera son désespoir dans le bouleversant Il mio crudel martoro. Et même si l’on pouvait souhaiter, en dehors de ces moments suspendus, un peu plus de flamme dans la fosse, les quatre heures de spectacle auront passé comme un rêve.

r Ariodante, de Georg Friedrich Haendel, jusqu’au 20 mai à l’Opéra de Paris (palais Garnier). 4 heures avec deux entractes. Retransmis en direct le 11 mai sur POP, la plateforme de streaming de l’Opéra de Paris, puis en replay du 12 au 19 mai au même endroit. Également diffusé par France Musique le 27 mai à 20 heures.

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