Fallait-il vraiment reprendre cette mise en scène… lunaire de La Bohème, avec laquelle Gustavo Dudamel avait fait ses débuts à l’Opéra de Paris en 2017 ? Ici même à l'époque, on avait déjà affiché notre scepticisme. Ajoutons tout de même l’irritation, pour ne pas dire la colère, qu’on éprouve côté public à être pris pour des imbéciles, à qui l’on explique au début de chaque acte ce qui est censé se passer sur scène et surtout dans la tête du metteur en scène. Claus Guth n’est pas revenu se faire huer en ce soir de première de la reprise de cette production qui ne laissera décidément aucun souvenir durable.

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La Bohème à l'Opéra national de Paris
© Guergana Damianova / Opéra national de Paris

S’il y a pourtant un ouvrage facile à adapter au goût voire aux modes de l’époque, c’est bien La Bohème, les « scènes de la vie de bohème » de Murger dont est inspiré l’opéra de Puccini étant – malheureusement – restées d’une cruelle actualité. Claus Guth réussit à nous rendre complètement hors-sujet les quatre actes, qui sont autant de ces « scènes », sans lien dramaturgique entre elles : que vient faire une pauvre jeune fille grelottant de froid dans un vaisseau spatial en perdition, à qui l'on interdit tout contact rapproché avec un Rodolfo en tenue d’astronaute façon Tintin dans On a marché sur la Lune ? ils chantent leur premier duo séparés de toute la largeur du plateau.

Tout le reste est à l’avenant. Le Café Momus à l’acte II ? Des restes de capsule spatiale et des relents de Cabaret ! Lorsque le rideau s’ouvre sur l’acte III, la salle éclate de rire : la neige tombe dru sur un site lunaire où errent trois astronautes en perdition. Quant au dernier acte, l’agonie de Mimi est comme escamotée, la mise en scène insistant sur un Rodolfo à la peine, étouffant dans son accoutrement d’astronaute. Passons sur le rôle muet de « maître de cérémonie » et contentons-nous d’espérer que la musique triomphe de cette piteuse prestation.

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La Bohème à l'Opéra national de Paris
© Guergana Damianova / Opéra national de Paris

On confesse aimer Puccini d’abord pour son orchestre – on se rappelle jadis sur France Musique les éblouissantes démonstrations du compositeur Gérard Pesson sur le génie de l’orchestre puccinien – et on est plutôt déçu de la placidité, pour ne pas dire de la médiocrité, de la conduite du chef Michele Mariotti. Sans aller jusqu’à comparer aux touffeurs d’un Karajan, on peut tout de même attendre autre chose que cette lecture rectiligne et bien peu imaginative, dans une musique aussi sensuelle et riche de la concision de ses formules mélodiques.

Quant à la distribution, bien inégale, commençons par les compliments : tous les petits rôles sont parfaitement tenus, tout comme ceux des comparses du poète Rodolfo (les rescapés du vaisseau spatial !), le peintre Marcello, incarné par l’excellent Andrzej Filończyk, baryton solaire s’il en est, qui partage avec le Schaunard de Simone Del Savio le même optimisme vital. Le Colline du Milanais Gianluca Buratto est d’un bronze ample et élégant. N'oublions pas le seul Français de l’équipe, le toujours impeccable Franck Leguérinel en Alcindoro. Quant à Musette, sous les traits et dans la voix de la toute jeune Slovaque Slávka Zámečníková (débuts à l’Opéra de Paris), elle parvient à ne pas être le clone vocal de Mimi – on regrette toujours la brièveté de ce rôle.

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La Bohème à l'Opéra national de Paris
© Guergana Damianova / Opéra national de Paris

On aimerait bien être élogieux à l’égard du ténor californien Joshua Guerrero qui faisait ses débuts à l’Opéra de Paris après avoir, entre autres, gagné le deuxième prix du dernier concours Operalia. On aimerait ne pas avoir remarqué que la voix met du temps à s’échauffer et que le premier acte expose un timbre plutôt vulgaire, des trémulations inquiétantes pour un jeune chanteur, et, jusqu’au bout, une difficulté à pleinement épouser le rôle de Rodolfo – il a des circonstances atténuantes, engoncé qu’il est tout du long dans son scaphandre intergalactique. Reste l’Américaine Aylin Pérez qui, malgré les inepties que la mise en scène lui demande, compose une Mimi touchante, arbore un timbre et une projection qui siéent idéalement à Puccini mais qu’entravent trop souvent les « trouvailles » du metteur en scène.

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