Directeur de l'Opéra de Dijon depuis trois ans, Dominique Pitoiset se charge de la nouvelle mise en scène et de la scénographie d’Armide de Lully, en coproduction avec Château de Versailles Spectacles où le spectacle sera repris en mai. Le rideau se lève sur un décor tout blanc, les choristes en noir étant répartis en étages sur les bancs d’un amphithéâtre d’université. Une trappe au centre permet de faire disparaître certains accessoires ou de faire entrer des personnages. Les ballets des six danseurs de la Compagnie Beaux-Champs s’éloignent significativement des fastes de la création à Versailles sous le règne de Louis XIV. Originale et décalée avec ses gestes parfois légèrement robotisés, la chorégraphie de Bruno Benne est plutôt simple dans ses mouvements et s’accorde sans difficulté à la musique, ainsi qu’aux vastes dimensions du plateau de l’Auditorium.

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Armide à l'Auditorium de Dijon
© Mirco Magliocca

Après le premier acte où Armide trône derrière un grand bureau à la manière d’une cheffe d’entreprise, sur fond de petites vidéos en hauteur, montrant les croisés, chacun en combinaison blanche semblant perdu dans une cellule d’un blanc immaculé, la modernité s’accélère encore à l’acte suivant quand Renaud met son casque de réalité virtuelle pour jouir de son séjour sous l’enchantement d’Armide (« Plus j’observe ces lieux, plus je les admire »). Cette proposition fonctionne fort bien, surtout dans les lumières bleutées réglées par Christophe Pitoiset, qui ondulent sur le décor unique des gradins et des trois parois qui les entourent. L’esthétique peut même rappeler la saga Star Wars : Renaud apparaît comme un Jedi en manteau noir à capuche, arme à la main, l’acte III est accompagné de projections couleur ocre dans le désert, les actes successifs sont présentés tels des épisodes (« épisode 1 – jour de triomphe », « épisode 2 – un séjour charmant »…).

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Armide à l'Auditorium de Dijon
© Mirco Magliocca

Notre adhésion au traitement visuel retombe cependant à l’acte conclusif où le palais d’Armide s’est transformé en EHPAD à forte assistance médicale : Renaud comme prostré tient dans ses mains un test de grossesse (les images du bébé vu en échographie nous font pencher vers cette thèse plutôt qu’un test Covid…), un chanteur à paillettes pousse la chansonnette au micro, les pensionnaires esquissent quelques pas de danse – autant de « clés de lecture » qui semblent complexes et surabondantes.

Le plateau vocal est de haute qualité, avec en tête l’Armide de Stéphanie d'Oustrac qui revient à ses premières amours baroques. La voix s’est spectaculairement élargie depuis ses fréquentations de Lully (elle chantait déjà Médée dans l’opéra Thésée… en 1998 !) et dépasse aujourd’hui clairement en ampleur un format baroque. Mais tragédienne jusqu’au bout des ongles, la chanteuse sait varier entre moments de fureur (son air conclusif de l'acte II « Enfin, il est en ma puissance »), certaines notes graves enlaidies pour caractériser la méchante magicienne, ou encore sa scène finale tourmentée et pleine d’émotion (« Le perfide Renaud me fuit »). En Renaud, Cyril Auvity lui donne une belle réplique, ténor au son bien concentré et aux notes les plus aiguës qui semblent faciles. Son style est délicat, ce qui convient idéalement aux passages les plus élégiaques, avec plusieurs splendides notes émises en mezza voce. Sa diction très claire est aussi à souligner, qualité de prononciation commune à l’ensemble de cette distribution francophone.

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Armide à l'Auditorium de Dijon
© Mirco Magliocca

Cumulant plusieurs emplois et entrant en scène ensemble, depuis la Gloire et la Sagesse du Prologue en un hommage très respectueux au Roi-Soleil, la mezzo Eva Zaïcik et la soprano Marie Perbost font entendre deux voix puissantes qui détaillent le texte avec précision. Le baryton québécois Tomislav Lavoie (Hidraot) développe un instrument ferme et autoritaire, par instants un peu limité toutefois dans la partie la plus grave. Timothée Varon est un baryton vaillant au timbre riche et de couleur plutôt sombre, bien en situation successivement en Artémidore, puis en Haine invoquée par Armide. Apparaissant aussi le plus souvent ensemble, le ténor David Tricou et la basse Virgile Ancely sont bien appariés, malgré de petites fragilités entendues dans le registre le plus aigu pour ce dernier.

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Armide à l'Auditorium de Dijon
© Mirco Magliocca

À la tête du Poème Harmonique, Vincent Dumestre impulse une direction musicale pleine de contrastes et dessine de belles couleurs. Après les premières mesures très staccato, comme pour bien marquer le rythme et faciliter la tâche des danseurs, la musique coule ensuite avec fluidité et emplit le vaste volume de la salle, vraisemblablement grâce à un support d’amplification indispensable au confort d’écoute. Le Chœur de l’Opéra de Dijon se montre également remarquable, bien dynamique et assurant un joli son collectif dans un harmonieux équilibre des pupitres. Les passages a cappella, comme « Ah ! quelle erreur, quelle folie de ne pas jouir de la vie ! » au cours de l’acte II sont ainsi de délicieux moments.


Le voyage d'Irma a été pris en charge par l'Opéra de Dijon.

***11