Les Enfants terribles de Philip Glass dans plusieurs villes : ça tourne !

- Publié le 21 novembre 2022 à 15:59
Le roman de Cocteau est devenu un film de Melville puis un opéra de Glass : Phia Ménard le met en scène dans un mouvement circulaire qui n’est pas sans rapport avec le minimalisme répétitif du compositeur américain.
Les Enfants terribles de Glass à Rennes

Quatre chanteurs, trois pianos : l’opéra de chambre Les Enfants terribles (1996) de Philip Glass (né en 1937) voyage assez léger pour partir en tournée dans de petites maisons et salles pluridisciplinaires, à l’initiative du collectif de production La co[opéra]tive. De Quimper à Bruxelles et Bobigny en passant par Rennes, dix théâtres sont de la partie.

Fin d’une trilogie

Avec cet ouvrage, le compositeur américain achevait, après Orphée (1993) et La Belle et la Bête (1994), une trilogie consacrée à Jean Cocteau. Francophile fasciné par l’univers de notre poète polygraphe, l’ancien élève de Nadia Boulanger a collaboré avec la chorégraphe Susan Marshall pour bâtir son livret, qui emprunte au roman (1929), mais aussi au film (1950) de Jean-Pierre Melville. Vingt scènes narrant le destin de deux adolescents, Paul – contraint de garder la chambre depuis que le caïd de cour d’école (Dargelos) qui le fascinait l’a blessé d’une pierre recouverte de neige – et Elisabeth. Le frère et la sœur vont s’inventer un quotidien fantastique et onirique à l’écart du monde, susciter la convoitise de deux autres jeunes gens (Agathe et Gérard), s’adorer et se déchirer jusqu’à la mort.

Place aux vieux !

Envoyant valser cette référence générationnelle, la metteuse en scène et scénographe Phia Ménard situe son huis clos aux antipodes : à l’Ehpad. Ce qui est peut-être moins gratuit qu’il y paraît – l’âge avancé n’est-il pas celui du retour à l’enfance, comme le spectacle le suggère ? Etonnamment, cette artiste venue de la chorégraphie ne retient pas la forme de l’opéra dansé choisie par Glass et Marshall. Mais elle n’oublie pas de mettre en mouvement les corps, grâce au recours à plusieurs tournettes concentriques. Dans ce contexte mouvant, quand elles n’éclairent pas la chambre-mouroir, les lumières d’Eric Soyer hantent le drame par un habile théâtre d’ombres sur la toile d’araignée stylisée habillant les murs.

Boucles hypnotiques

Cette esthétique de la rotation consonne avec les boucles répétitives hypnotiques décrites par les trois pianistes (Flore Merlin, Nicolas Royez et le directeur musical de la production, Emmanuel Olivier). Présents sur scène, ils semblent parfaitement familiarisés avec la syntaxe de Glass, aussi entêtante que consonante, sans doute plus facile à entendre qu’à restituer. Mais est-ce parce que les claviers sont numériques, et que l’ensemble du plateau est amplifié ? Nuances et couleurs auraient gagné à ressortir de manière plus contrastée, en particulier avec davantage de douceur quand la partition le requiert.

Voix parlée magnétisante

Cette sonorisation ne flatte pas les gosiers – déjà soumis à rude épreuve par l’écriture glassienne, nettement plus fluide au piano –, a fortiori les voix aiguës. Le ténor de François Piolino (Gérard) se montre un brin pincé, le timbre de Mélanie Boisvert (Elisabeth) légèrement ingrat, ce que compense sa présence scénique bien ajustée à un personnage aux humeurs variables. Olivier Naveau prête l’épaisseur moirée de son baryton à son Paul endolori, Ingrid Perruche expose un médium charnu qui convient à Agathe, ombre et double de Dargelos. La voix la plus magnétique n’est pas chantée : c’est celle du comédien Jonathan Drillet, qui a œuvré comme dramaturge sur cette production et officie, avec une grande liberté de phrasé et une jolie touche d’humour, dans le rôle du Narrateur. Lequel se glisse aussi dans la peau de Cocteau pour un amusant intermède où l’auteur évoquait (en 1963) l’an 2000. Nous y sommes, et même au-delà, et ces Enfants terribles centenaires (le roman), mis en musique par un « Kid de Buffalo » aujourd’hui octogénaire, n’ont pas pris une ride. Fussent-ils envoyés en maison de retraite.

Les Enfants terribles de Glass. Rennes, Opéra, le 20 novembre. Autres représentations les 26 et 27 novembre à Tourcoing, les 1er et 2 décembre à Dunkerque, le 7 décembre à Compiègne, les 10 et 11 janvier à Besançon, les 17, 19 et 20 janvier à Clermont-Ferrand, les 1er et 2 février à Grenoble, les 10 et 11 février à Bruxelles, les 23, 24 et 26 février à Bobigny.

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