Freitag aus Licht : et Stockhausen devient un jeu d’enfants

- Publié le 8 novembre 2022 à 10:17
Compagnie en résidence à l’Opéra de Lille, Le Balcon y présente le quatrième volet de sa plongée dans le grand œuvre opératique du pionnier allemand de l’électroacoustique. Un ouvrage qui flatte le chœur et l’enfance, à découvrir le 14 novembre à la Philharmonie de Paris.
Freitag aus Licht

Après Donnerstag, Samstag et Dienstag, Maxime Pascal et son collectif transdisciplinaire Le Balcon ajoutent une quatrième étape à leur exploration, depuis 2018, de Licht (1977-2003), la somme théologico-lyrique en sept « journées » de Karlheinz Stockhausen. Nous sommes vendredi, Freitag (1991-1994), c’est le jour de la tentation d’Eva par Lucifer qui, sous le nom de Ludon, va la pousser à s’unir à son fils Kaino.

Jenny Daviet offre les ressources variées d’un soprano expressif, coloré et agile dans le dialogue avec le basse rayonnante d’Antoin HL Kessel en « porteur de lumière », comme dans l’étreinte qui la lie au baryton subtil et sensuel d’Halidou Nombre (Kaino) à l’heure de la chute. Les suivantes de l’héroïne lui offrent des prolongements instrumentaux, dans la respiration de la flûte (Charlotte Bletton) et plus encore dans la ductilité colorée du cor de basset (Iris Zerdoud, pilier du Balcon dont elle est aussi la directrice de production). Ce Vendredi est la journée des enfants, qui s’en donnent à cœur joie : flûtes et clarinettes du conservatoire de Lille accompagnant Eva, filles et garçons de la Maîtrise Notre-Dame de Paris (bien préparée par Emilie Fleury) en rejetons de Ludon.

Enfants comédiens

Prenant au mot la dédicace de cet ouvrage « à tous les enfants », la metteure en scène Silvia Costa en renforce encore la dimension enfantine. Exit les « douze couples de danseurs-mimes » appelés par le compositeur ; seuls trois membres du corps humain (le bras, la bouche, la jambe) sont incarnés par des adultes. Pour le reste, ce sont des enfants comédiens qui s’amusent avec les objets du quotidien peuplant l’imaginaire d’un Stockhausen aimant mêler le trivial au cosmique : ils arrachent et jettent en rythme les papiers d’une machine à écrire, glissent dans l’habitacle d’une mini-voiture de course, s’escriment sur les boutons d’un flipper, font tourner une fusée en orbite autour d’une planète… La direction d’acteurs est précise, assez ludique et espiègle pour faire oublier les longueurs – singulièrement étirées au second acte – de ces « scènes de son » emplies de musique électronique. Parmi les « scènes réelles », la guerre des enfants est particulièrement saisissante, l’opposition schématique du blanc et du noir trouvant sa résolution dans le surgissement des couleurs comme dans une fête indienne. Jusque dans le final rougeoyant du triangle dans lequel l’« obscurité devient lumière », Silvia Costa inscrit son geste dans un théâtre visuel où la technologie peut être au service d’un regard poétique, à l’exemple de son mentor Romeo Castellucci.

Journée de transition

On pourra trouver cette journée très chargée en électronique, qui s’invite dès le Salut diffusé pour accueillir le public et jusqu’à l’Adieu qui le raccompagne à la sortie. Et surtout un peu courte en musique live, même si les quelques contrepoints instrumentaux et vocaux ouvragés par Stockhausen – et dirigés par Maxime Pascal, invisible pendant les trois heures avec entracte du spectacle – sont de toute beauté, à l’image de la « Chor-Spirale » entonnée in fine par les chanteurs du Balcon. Ce Freitag aus Licht pourra être vu, à l’instar de Dienstag, comme une journée de transition dépourvue de la folle puissance et de l’éclat de Samstag et surtout de Donnerstag. Mais l’amateur de théâtre lyrique « XXe siècle » ne peut qu’admirer les hauteurs auxquelles se maintient la qualité de réalisation de cette aventure artistique hors norme. Et il attend la suite, bien sûr. Sonntag dans un an, Montag, pour finir, en automne 2025… Entre les deux, Mittwoch est annoncé, ce qui suscite en nous une curiosité doublée d’un questionnement amusé : à l’heure des grands discours sur la sobriété écologique, quelle institution osera produire sans trucage le ballet des quatre aéronefs de l’Helikopter-Streichquartett, qui constitue la troisième scène de cette journée ?

Freitag aus Licht de Stockhausen. Lille, Opéra, le 5 novembre. Représentations jusqu’au 8 novembre à Lille, puis le 14 novembre à la Philharmonie, dans le cadre du Festival d’automne à Paris.

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