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La Semele incandescente d’Elsa Benoit à l’Opéra de Lille

La Semele incandescente d’Elsa Benoit à l’Opéra de Lille

Le mélomane sait qu’il se passe beaucoup de choses à Lille où l’attend Semele, un grand chef-d’œuvre de Haendel pourtant rarement à l’affiche. Tous les opéras n’ont pas la chance de pouvoir compter sur Elsa Benoit et Barrie Kosky. Explications…

Semele © Monika Rittershaus/Komische Oper Berlin

L’Opéra de Lille peut s’enorgueillir d’avoir Caroline Sonrier à sa tête. En proposant une programmation originale et bien souvent percutante, la seule femme directrice d’une maison d’Opéra en France (avec Valérie Chevallier à Montpellier) a fait de Lille, une destination lyrique de premier plan. Après le succès critique et public de la production du Midsummer Night’s Dream de Britten signée Laurent Pelly (en mai 2022), c’est un autre metteur en scène d’importance qui ouvre la nouvelle saison 2022-23. Ce jeudi 6 octobre 2022, la sublime Semele de Haendel vue par Barrie Kosky est venue brûler les planches au sens figuré comme au sens propre. Par sa force esthétique, le spectacle (créé au Komische Oper de Berlin en 2018) s’inscrit sur une même ligne d’excellence avec une distribution où explose le talent d’Elsa Benoit.

Carbonisée, calcinée, la Semele de Barrie Kosky

Evan Hughes (Somnus), Ezgi Kutlu (Juno) © Simon Gosselin / Opéra de Lille

La mise en scène peut dérouter au premier abord. Le rideau s’ouvre sur un tas de cendres encore fumant d’où surgit l’héroïne, hagarde. L’on comprend alors que, placée ainsi dans le purgatoire d’un perpétuel recommencement, Sémélé va revivre les scènes de son calvaire dans un décor de palais calciné. Natacha Le Guen de Kerneizon a réalisé un travail époustouflant de réalisme avec une étrange poésie qui se dégage de ces panneaux noircis, parfaitement mis en valeur par l’admirable éclairage d’Alessandro Carletti. Dans la mythologie, la jeune femme amoureuse de Zeus/Jupiter, manipulée par la jalouse Héra/Junon, demande à son céleste époux de se montrer en majesté. Le dieu des dieux apparaît toutes flammes dehors et cause la mort de son amante infortunée. Dans le processus de Barrie Kosky, les premières scènes centrées sur le mariage terrestre de Sémélé et d’Athamas marchent moins bien que les suivantes. Passée cette partie, le metteur en scène enchaîne les images si fortes qu’elles font oublier quelques fragilités vocales. Dans le rôle de Somnus par exemple, l’arrivée d’Evan Hughes torse nu (homme-objet dans les bras de Juno) est suffisamment marquante pour compenser un manque de projection. La terrible et délirante Juno est totalement incarnée par Ezgi Kutlu. Les vocalises de la mezzo, éléments centraux de sa partition plutôt hoquetées ici, ne sont pas exemptes de reproches. Les puristes pourront raisonnablement s’interroger sur cette technique peu orthodoxe mais le personnage est bien là. Barrie Kosky se sert habilement de l’apparence physique de ses artistes. Elsa Benoit qui apparaît plus fragile encore dans les bras du colossal Stuart Jackson (Jupiter) rappelle la célèbre toile de Gustave Moreau, Zeus et Sémélé.

Jupiter et toutes les femmes de sa vie

Elsa Benoit (Semele), Stuart Jackson (Jupiter) © Simon Gosselin / Opéra de Lille

Le ténor qui possède un instrument séduisant, apporte un supplément de poésie à ses arias divins même si la ligne vocale se relâche parfois. Créé comme oratorio, Semele est l’un des chefs-d’œuvre de Haendel qui reste difficile à monter car il réclame une technique sans faille. La jeune soprano Emy Gazeilles a beaucoup d’atouts qui font regretter la brièveté de sa partie (Iris). Basse à l’autorité naturelle, Joshua Bloom est un Cadmus de luxe face aux jeunes Athamas et Ino, les amoureux contrariés de l’histoire. Paul-Antoine Bénos-Djian comme monté sur pile électrique, fait exister son personnage avec une dose de burlesque qu’il assume sans jamais sacrifier la justesse de sa voix. Avec un timbre fruité et de beaux moyens, Victoire Bunel (Ino) confirme tous les espoirs même si l’accompagnement uniforme d’Emmanuelle Haïm ne la soutient pas assez dans son premier aria. La grande cheffe baroque, à la tête de son Concert d’Astrée (Chœur et Orchestre en résidence à l’Opéra de Lille) insuffle ensuite plus de vie dans son théâtre où les chœurs très expressifs occupent une place de choix. Dès les premières notes d’Elsa Benoit, l’on sait que l’on va avoir une Sémélé d’exception mais le rôle est long et Haendel a placé les arias à vocalise vers la fin de l’ouvrage (qui dure plus de trois heures). A mesure que les difficultés s’accumulent, la soprano survole la partition avec une agilité vocale impressionnante, rendant l’exploit des plus remarquables. Plus notable encore est l’implication de la comédienne qui varie son jeu dramatique. Femme brisée puis espiègle dans « Myself I shall adore » ou orgueilleuse (« No, no, I'll take no less »), Elsa Benoit déploie l’éventail de son immense talent. Élisabeth Duparc, la créatrice du rôle, était surnommée « La Francesina » parce qu’elle était française, elle aussi ! Alors que certaines scènes nationales ont du mal à distribuer les artistes de leur propre pays, l’Opéra de Lille fait figure d’exemple en confiant la direction, le rôle-titre et trois autres rôles à de superbes artistes internationaux français. Exemplaire, comme cette production…

Semele © Monika Rittershaus/Komische Oper Berlin

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