À Toulouse, les bonnes ondes de Rusalka

- Publié le 7 octobre 2022 à 16:10
Stefano Poda signe un spectacle onirique pour l’entrée du chef-d’œuvre de Dvorak au répertoire du Capitole. Au pupitre, Frank Beermann confirme un authentique métier de chef de théâtre, veillant sur un plateau uni dans l’excellence.
Rusalka de Dvorak. Toulouse, théâtre du Capitole

Pour l’entrée de Rusalka au répertoire du Capitole, Christophe Ghristi a fait appel à un habitué des lieux : à la tête d’un orchestre aux couleurs toujours enivrantes, Frank Beermann confirme un authentique métier de chef de théâtre, exaltant les sortilèges instrumentaux, soignant la précision du détail, variant allures et atmosphères, si bien que le discours semble en permanence relancé.

Stefano Poda connaît aussi la maison pour y avoir présenté naguère un fascinant Ariane et Barbe-Bleue de Dukas. Une fois encore, le metteur en scène (également décorateur, costumier, éclairagiste, chorégraphe !) joue de toutes les ressources de la machinerie pour concevoir les images fortes dont il a le secret. On n’est pas près d’oublier l’univers aquatique dans lequel, aux actes I et III, plongent (au sens propre) ondines et ondins.

Rêve et énigmes

Dans ces paysages oniriques, Poda fait intervenir quelques symboles à la signification parfois énigmatique : que représentent, au I, ces mains géantes qui descendent des cintres, au risque de parasiter l’apparition de la lune, roche matricielle enserrant un être en position fœtale ? Au II, nous sommes bien chez les humains, comme le montre de façon un peu trop didactique un amoncellement de sacs-poubelle, puis des murs tapissés de circuits électroniques pour évoquer la technologie. Le Prince et la Princesse étrangère se démultiplient en huit couples de danseurs, pour mieux dire sans doute leur duplicité. La stylisation, toujours, prend le dessus, si bien que rien ne perturbe la beauté visuelle du spectacle, ni la lisibilité de la narration, entre rêve et réalité.

Dans le rôle-titre, Anita Hartig semble quelque peu éprouvée par une tessiture qui exige probablement un lyrisme plus musclé. L’intonation s’en trouve parfois perturbée, et le joli grain vibratile qui distille ses charmes dans le médium, menace de virer à la stridence sur quelques aigus. Reste un art de la coloration et de la nuance qui fait merveille dans le registre élégiaque, en particulier une prière à la lune nimbée par une lumière d’aurore.

Prince magnétique

Cette ondine est éprise du Prince de Piotr Buszewski, ténor à la projection insolente, à la présence et au timbre magnétiques — un peu plus de demi-teintes dans le chant, et ce sera parfait. Sans démériter, Claire Barnett-Jones n’a pas tout à fait l’opulence du grave qui fait les grandes Jezibaba, alors que Béatrice Uria-Monzon compose son personnage de Princesse étrangère entre des lambeaux de voix et un abattage intact. A l’applaudimètre, c’est Aleksei Isaev qui l’emporte, phrasant à l’archet les imprécations de l’Ondin, avec une aura ténébreuse dans le timbre, du relief dans ses mots et ses sentiments, en scène un charisme impérieux. Lauriers à trois nymphes unies dans l’excellence (Valentina Fedeneva, Louis Foor et Svtelana Lifar), ainsi qu’à Fabrice Alibert, à la fois Garde forestier et Chasseur au caractère affirmé. Rusalka de Dvorak. Toulouse, théâtre du Capitole, le 6 octobre. Représentations jusqu’au 16 octobre.

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