Until the Lions de Pécou, création très chorégraphique pour le jubilé de l’Opéra du Rhin

- Publié le 27 septembre 2022 à 08:00
Fin septembre 1972, les municipalités de Strasbourg, Mulhouse et Colmar apposaient leur signature au bas des statuts d'une institution nouvelle : l'Opéra du Rhin. Cinquante ans plus tard, la maison célèbre sa naissance par une création où le chant est moins à la fête que l’orchestre et la danse.
Until the lions

Porter le Mahabharata à la scène ? Avec ses 250.000 vers et ses accents guerriers, la grande épopée sanscrite ne se laisse pas facilement approcher. Feu Peter Brook lui avait consacré un spectacle de neuf heures resté légendaire. Pour répondre à la commande de la regrettée Eva Kleinitz à l’Opéra national du Rhin, la poétesse parisienne d’origine indienne et de langue anglaise Karthika Naïr a fait nettement plus court, adaptant partiellement en livret son roman Until the Lions: Echoes from the Mahabharata, de sorte que le propos tienne en une heure et demie mise en musique par Thierry Pécou (né en 1965).

Lionnes combatives

La librettiste a resserré l’intrigue sur dix-neuf personnages, essentiellement des femmes – les grandes oubliées de l’histoire, plutôt « lionnes » combatives (d’où le titre de l’ouvrage) que vaincues. Ce faisant, elle n’est pas parvenue à éviter l’écueil de l’ellipse, ni du recours bancal à une comédienne (Fiona Tong) qui porte la narration en même temps qu’elle incarne la reine-mère Satyavati. Les emplois chantants sont rares et pas continûment présents : la frustration guette. Le baryton-basse américain Cody Quattlebaum prête son expression vigoureuse au beau-fils de Satyavati, Bhishma. Il sera finalement terrassé par la princesse Amba réincarnée en homme : la mezzo israélienne Noa Frenkel se joue de cette androgynie en interprète affutée de « la contemporaine », capable de passer du chanté au parlé dans un même souffle. Alentour, l’offre est plutôt maigre : deux suivantes royales dont se distingue un mezzo bien timbré (Anaïs Yvoz), des voix enregistrées dont celles du chœur.

Puissantes progressions

Au fond, pour son deuxième grand opéra, c’est surtout dans l’écriture orchestrale que Thierry Pécou s’épanouit. Fasciné par les cultures ancestrales non-européennes, il construit de puissantes progressions et autres séquences répétitives en s’inspirant des ragas indiens et des gamelans balinais. La scansion des percussions (dix-neuf gongs, un tam-tam, des tom-tom, une cymbale cloutée suspendue…) et les rifs de guitare électrique tendent le fil dramatique que déroule une partition révélant un métier très sûr. De l’assurance, la Française Marie Jacquot n’en manque pas non plus, à la tête d’un Orchestre symphonique de Mulhouse à la belle plasticité : très active en terre germanique, la jeune cheffe mérite de bénéficier en France de la confiance que son talent appelle désormais.

« Opéra dansé »

Sur cette musique pulsée prend forme, logiquement, un ouvrage qui s’apparente à un « opéra dansé ». C’est d’ailleurs ainsi que le met sagement en scène la chorégraphe londonienne Shobana Jeyasingh, qui a incorporé une danseuse de sa compagnie à une quinzaine de membres du Ballet de l’OnR. Flattée dans sa double vocation lyrique et chorégraphique, la maison fête dignement son cinquantenaire, à défaut de lui consacrer une création inoubliable.

Until the Lions de Pécou. Strasbourg, Opéra, le 25 septembre. Représentations jusqu’au 30 septembre à Strasbourg, puis les 9 et 11 octobre à Mulhouse (La Filature).

.

Diapason