Parsifal, du survêtement à l’abstraction

À l’Opéra Bastille, la direction de Simone Young et une distribution de choix rendent justice à la mise en scène de Parsifal selon Richard Jones.

Parsifal, du survêtement à l'abstraction

INAUGURÉE EN 2018 À L’OPÉRA BASTILLE, revoici la mise en scène de Parsifal signée Richard Jones, avec une distribution entièrement nouvelle. Une mise en scène munie d’un atout décisif : elle ne comporte pas de vidéo, pas de film, pas de chanteur-suivi-en-temps-réel par un opérateur et montré sur grand écran. Elle fait confiance à ce qui constitue l’essence du théâtre : la scène et le jeu des acteurs. Ce qui ne signifie pas qu’elle soit entièrement convaincante. Le premier acte, en particulier, que la musique relativement contemplative de Wagner plonge dans une certaine immobilité, ne convainc guère : les trois lieux juxtaposés, qui glissent sur des rails et représentent une cuisine (un réfectoire ?), un vestiaire et une sorte de chapelle, ne livrent aucune clef. S’agit-il d’un couvent ? d’une prison, d’un gymnase ? Le costume de Gurnemanz est-il un bleu de travail ? Parsifal (Simon O’Neill) a tout d’un benêt (qui goûte au sang d’Amfortas comme un Siegfried effarouché), au contraire de Titurel, chanté par Reinhard Hagen mais joué, vu de la salle, par un comédien qu’on dirait atteint de progéria.

Tout change au deuxième acte : les filles-fleurs sont de vraies chanteuses fessues et mamelues qui habitent réellement dans des fleurs, Kundry (Marina Prudenskaya) qui jusqu’alors ressemblait à une servante en cheveux, la robe grise et informe, est tout à coup une femme élégante et mince, les cheveux blond platine, qui enlève ses gants à la manière de Rita Hayworth pour mieux séduire Parsifal. Le plateau se dénude jusqu’à devenir abstrait, mystiquement éclairé d’une lumière comme un halo, et la grande scène entre Kundry et Parsifal atteint une étonnante intensité, que la vision finale du jardin de Klingsor carbonisé rend plus spectaculaire encore. On retrouve au troisième acte le décor du premier, et la dernière scène, quand le chœur s’acharne sur le malheureux Amfortas pour qu’il dévoile le Graal une ultime fois, a quelque chose de poignant. La toute fin est bouleversante, malgré la laideur des costumes (T-shirts, survêtements, costumes d’un bleu atroce), et c’est là qu’on mesure le pouvoir mystérieux du théâtre et de la musique lorsqu’ils parviennent à envoyer par-dessus les moulins tout ce qui relèverait a priori du quotidien le plus décourageant.

Gurnemanz et la métamorphose

Pour que ce spectacle intelligent et retors tienne la route, il faut une direction musicale solide. C’est le cas grâce à Simone Young, qui impose des tempos relativement allants, sans rubato ni complaisance dans les moments lyriques ou les robustes séquences chorales. Le tout est tenu, articulé, l’orchestre n’étouffant jamais les voix solistes ni les chœurs. Le cor anglais, les clarinettes et les cuivres graves, qui donnent son assise à la partition, sont particulièrement à la fête. On apprécie également la manière dont les chœurs, précisément, que ce soit sur scène ou dans les coulisses, contribuent au mystère de l’ouvrage sans que rien soit laissé au hasard.

On passera sur le fait que certains interprètes bougent mieux que d’autres. Mais sur le plan vocal, la distribution fait merveille. Kwangchul Youn est un habitué du rôle de Gurnemanz, qu’il incarnait par exemple à Bayreuth en 2010 sous la direction de Daniele Gatti. La voix est ici plus chaleureuse que jamais, et le personnage approfondi, notamment au dernier acte, où il n’est plus ce simple récitant auquel il est réduit, la plupart du temps, quelles que soient les idées des metteurs en scène. Brian Mulligan est un Amfortas brûlant, et on se rend compte dans les dernières scènes qu’il s’agit là du personnage essentiel de cette histoire ; Armin Jordan ne s’y était pas trompé quand il avait choisi d’être Amfortas en chair et en os, il y a quarante ans, dans le film de Hans-Jürgen Syberberg. On goûte aussi la métamorphose de Marina Prudenskaya, grise et anonyme au premier acte, tout à coup séductrice presque lascive et très en voix au deuxième, avec un vrai timbre de mezzo sombre, parfois opaque.

Le Parsifal de Simon O’Neill, qui était présent lui aussi à Bayreuth il y a douze ans, manque de nuance dans le timbre, trop nasal (on croit entendre parfois Gary Lakes), Falk Struckmann fait ce qu’il faut en Klingsor, les filles-fleurs sont vénéneuses et carnivores comme il le faut. Bref, voici un Parsifal comme on les aime, le début du premier acte fût-il un peu trop emprunté.

Illustration : les filles-fleurs (photographie Vincent Pontet, Opéra national de Paris)

Richard Wagner : Parsifal. Simon O’Neill (Parsifal), Brian Mulligan (Amfortas), Reinhard Hagen (Titurel), Kwangchul Youn (Gurnemanz), Falk Struckmann (Klingsor), Marina Prudenskaya (Kundry), Neal Cooper et William Cooper (les chevaliers du Graal), Tamara Banješević, Marie-André Bouchard-Lesieur, Tobias Westman, Maciej Kwaśnikowski (quatre écuyers), Tamara Banješević, Marie-André Bouchard-Lesieur, Ramya Roy, Kseniia Proshina, Andrea Cueva Molnar, Claudia Huclkle (les Filles-fleurs), Claudia Huckle (une voix dans les hauteurs). Richard Jones, mise en scène ; Ultz, décors et costumes ; Mimi Jordan Sherin, lumières ; Lucy Burge et Ashley Bain, chorégraphie ; Chœurs et Orchestre de l’Opéra national de Paris ; Ching-Lien Wu, chef des chœurs. Simone Young, direction musicale. Opéra Bastille, 24 mai 2022.
Représentations suivantes : 28 et 31 mai, 3, 6, 9 et 12 juin.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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