En cette fin de mois d’avril, il est déjà temps pour l’Opéra de Monte-Carlo de présenter le dernier drame lyrique de la saison. Le choix de l’institution s’est tourné vers le premier grand succès de Giacomo Puccini, Manon Lescaut. Pour incarner au mieux cette peinture réaliste qui demande une forte puissance dramatique sans toutefois basculer dans l’exagération, l’Opéra a fait appel à la soprano lyrique Anna Netrebko dans le rôle-titre, venue en remplacement de son homologue italienne Maria Agresta (souffrante), pour une proposition riche et incarnée.

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Manon Lescaut à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Alors que le soleil culmine au zénith dans le ciel monégasque, les lourds rideaux de la bâtisse plongent la salle principale de l’Opéra dans l’obscurité presque totale. Dès lors, les regards se posent sur la mise en scène ultra contemporaine de Guy Montavon, aux allures d’un bar d’extérieur arborant au loin une somptueuse mosaïque représentant le visage de Manon. Le réalisme est poussé jusque dans le mobilier et les costumes constituant la parfaite panoplie du badaud du XXIe siècle : casquette, sweat à capuche, kiosque et autres chaises de café composent la trame visuelle du premier acte. Œuvrant également aux lumières, Montavon caractérise la découpe des scènes par des changements de couleur d’éclairage.

Premier à intervenir, Luis Gomes dans le rôle de l’étudiant Edmondo brille par la maîtrise de son souffle, toujours précis et agile malgré les postures incongrues et extrêmement fluctuantes qu’il arbore. Le public rencontre ensuite le Géronte d’Alessandro Spina au phrasé bien déclamé, suivi par Claudio Sgura qui revêt le rôle de Lescaut, frère de l’héroïne. Jamais dans l’excès, ce dernier se pare d’un vibrato sobre et opte pour une interprétation simple et naturelle du personnage.

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Anna Netrebko (Manon) et Yusif Eyvazov (Des Grieux)
© Alain Hanel

Apparaît ensuite le couple phare — dans la vie comme à la scène — formé par Anna Netrebko (Manon) et Yusif Eyvazov (Des Grieux). Leurs nombreux duos sont toujours équilibrés et harmonieux, preuve d’une grande connaissance mutuelle et d’une admiration partagée. Outre le réalisme des scènes d’amour, on admire l’endurance des deux professionnels, infaillibles jusqu’à la dernière note. La soprano ravit les foules par son expressivité : le public applaudit la longue tenue finale, vibrée pianissimo, de l’air « Sola, perduta, abbandonata ». Plus impressionnant encore, la chanteuse rivalise avec l’orchestre jouant fortissimo sans perdre en intensité. Son époux file quant à lui un parfait Des Grieux, solide, arborant fièrement des interventions franches et affirmées.

L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo gagne également le cœur de l’audience, qui l’acclame de toute sa ferveur au terme de l’exécution de son Intermezzo. La direction de Pinchas Steinberg est particulièrement fine et expressive : les passages les plus doux de la partition ne sont dirigés qu’à l’aide de ses mains, que le maestro tend vers ses lèvres lors des moments piano.

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Manon Lescaut à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Au fur et à mesure de la pièce, les décors suivent l’évolution du personnage de Manon : au départ plutôt sobres, ils basculent progressivement vers la luxure et la démesure, miroir d’une héroïne en proie au narcissisme. Ce n’est qu’à la fin de l’ouvrage, lorsque Manon se meurt face à son mari désarmé, que la scène se montre sous ses aspects les plus sombres. Cette incarnation triomphale de la soprano russe ne fait que confirmer la pensée de Puccini : « Manon Lescaut est une héroïne à laquelle je crois ».

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