Il est des opéras qui mêlent aspect novateur et réminiscences de formes classiques. Alliant écriture musicale moderne et recours à des structures plus classiques — telles la pavane, la gavotte, la passacaille ou la fugue —, Wozzeck d’Alban Berg en est le parfait exemple. Désirant mettre en lumière quelques-unes des plus célèbres créations lyriques du XXe siècle, l’Opéra de Monte-Carlo a choisi de programmer l’œuvre pour la toute première fois en Principauté, en coproduction avec le Théâtre du Capitole de Toulouse. Retour sur une proposition toute en psychose.

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Wozzeck à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

L’argument se fonde sur l’ouvrage dramatique inachevé de Georg Büchner, Woyzeck, lui-même basé sur un fait divers datant de 1821 : l’exécution d’un soldat ayant assassiné sa maîtresse quelques années auparavant. Composé en plein cœur de la Première Guerre mondiale, l’ouvrage expressionniste reflète la vision pessimiste et menaçante d’une période brutale.

En cet après-midi printanier, le rideau s’ouvre sur une sinistre chambre d’enfant grisâtre, sobrement aménagée d’un lit vétuste surplombé par un crucifix. L’une des originalités de la mise en scène de Michel Fau consiste en la présence continue de l’enfant sur scène, bien que ce dernier n’intervienne musicalement qu’au terme de l’acte final. Le spectateur contemple alors l’intrigue tel un mauvais rêve du garçon.

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Wozzeck à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Les premières notes donnent à entendre un Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo subtil et mystérieux sous la direction de Kazuki Yamada, instaurant avec brio l’atmosphère névrotique de l’ouvrage. Les instruments portent avec efficacité les voix du capitaine de Mikeldi Atxalandabaso, doté d’une saisissante capacité de projection, ainsi que celle du rôle-titre tenu par Birger Radde, baryton aux médiums bien timbrés. S’instaure rapidement un rapport de domination entre les deux voix, insufflé par la dramaturgie : si le ténor espagnol emplit l’entièreté de la salle grâce à sa puissance vocale, la voix flexible du baryton est parfois dominée par les différentes interventions instrumentales. On admire cependant particulièrement la souplesse dont il fait preuve lors des passages entre les registres. Les costumes des personnages imaginés par David Belugou témoignent d’une fidélité historique, reflétant les conditions sociales des années 1820.

Le public découvre ensuite Michael Porter dans le rôle d’Andres, qui brille par l’impression de naturel dans le chanté de ses lignes atonales. Au fur et à mesure de l’avancement de la narration, un lièvre géant envahit progressivement l’espace scénique, à l’image de la folie qui gagne le personnage principal. Si la production ose le parti-pris de l’unité de lieu, l’élément visuel contribue à la structuration de l’œuvre : chaque scène est éclairée d’un coloris singulier.

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Wozzeck à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Du côté des rares rôles féminins, Annemarie Kremer incarnant le personnage de Marie se distingue par la puissance de ses aigus parés d’ornements expressifs. Elle adopte avec une apparente facilité la technique du sprechgesang, mêlant chant lyrique et intonations de la parole allemande. La Margret de Lucy Schaufer, conçue comme le double de Marie et vêtue de manière similaire, arbore quant à elle un timbre plus nasal. Mention spéciale à Albert Dohmen dans le rôle du médecin, maniant admirablement la complexité rythmique de ses interventions.

Outre l’efficacité de la distribution, il ressort de cette proposition la démonstration d’une véritable fascination pour la folie. Wozzeck n’est pas le seul atteint de démence : cette hystérie contagieuse se propage jusqu’à l’enfant incarné par Dimitri Doré, qui, contrairement au livret initial, convulse d’épouvante en apprenant la mort de sa mère, avant de prononcer l’effroyable « hop, hop ! » d’indifférence dans la scène finale. Une tragédie digne des pires terreurs nocturnes, applaudie par une audience transportée. 

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