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Un trio de choc pour Händel

Outre Natalie Dessay en Cléopâtre, Emmanuelle Haïm a ainsi pu participer aux choix de distribution deux ans à l'avance. (Baltel/SIPA)

Le 17 janvier, l'Opéra de Paris accueille une nouvelle version de «Giulio Cesare», avec Natalie Dessay et ses fidèles complices Emmanuelle Haïm et Laurent Pelly.

La version retenue pour ce cher vieux Jules au Palais Garnier peut bien dater de 1724, ce sera là, sans conteste, l'opéra de toutes les premières: première Cléopâtre pour la soprano vedette Natalie Dessay, vraie première fois dans la fosse parisienne pour la chef Emmanuelle Haïm, qui vient avec son propre orchestre baroque, Le Concert d'Astrée, premier Händel pour le metteur en scène Laurent Pelly. «Cet opéra, dit-il, c'est un monstre: quatre heures de musique, 43 airs d'un opera seria, une forme que je n'avais jamais abordée jusque-là.»

Un pari risqué? Pas tant que ça. L'opéra voulait réunir ces trois stars du lyrique qui elles-mêmes rêvaient de se retrouver sur un opéra autour de Natalie Dessay. «Nous avons commencé à en discuter il y a trois ans, raconte Emmanuelle Haïm. Nous sommes vite tombés d'accord sur Giulio Cesare que j'avais déjà eu l'occasion de diriger et qui offrait à Natalie la perspective d'un rôle inédit .»

Comme Laurent Pelly, la chef du Concert d'Astrée connaît bien Natalie Dessay, dont elle est une complice et amie de longue date. «C'est en 1999 que j'ai rencontré Emmanuelle pour la première fois, confirme Natalie Dessay. C'était déjà chez Händel, pour ­Alcina. Emmanuelle était alors claveciniste dans l'orchestre de William ­Christie, mais déjà passionnée par les voix. Depuis, elle est à l'origine de tous nos projets dans le répertoire baroque, sur lequel je lui fais une confiance ­aveugle. »

«Un coup de foudre amical»

Laurent Pelly avait, lui, connu la cantatrice deux ans plus tôt dans une production d'Orphée aux Enfers à l'Opéra de Lyon. «Un coup de foudre amical et professionnel, dit-il. Jusqu'à Ariane à Naxos en 2003, on n'a plus retravaillé ensemble, mais on se voyait. Ce qui est formidable avec Natalie, c'est qu'elle est immédiatement dans l'interprétation et fournit une matière théâtrale magnifique. À tel point qu'il y a des opéras dont j'accepte la mise en scène uniquement pour elle, comme La Fille du régiment, à Covent Garden, qui sera reprise à l'Opéra dans deux saisons.» Un enthousiasme partagé par Natalie Dessay: «Avec lui, je ne discute jamais, je pourrais chanter nue s'il me le demandait !» Sans aller si loin, il l'a déjà lancée dans la chanson avec un spectacle de tubes de Michel Legrand attendu à Paris, peut-être au Châtelet, et ambitionne de l'amener au théâtre dans un grand rôle comique.

Deux ans de préparation

Emmanuelle Haïm et Laurent Pelly, qui ne se connaissaient pas, ont commencé à confronter leurs idées en 2008, lors du Festival de Glyndebourne où ils étaient tous les deux invités. «On s'est tout de suite entendus: comme moi, il est immédiatement dans la théâtralité. Surtout, c'est un esprit très organisé mais libre, qui laisse une large place à la créativité et à l'improvisation», dit la chef d'orchestre. Ils se sont ensuite revus chaque fois que leur agenda le permettait. Pour une nouvelle production comme celle-ci, «il est essentiel de prévoir à l'avance tous les ingrédients dont on pourra avoir besoin, voir comment les faire rentrer dans le budget imparti».

«Une fois en répétitions, tout va très vite. On pourrait répéter six mois un opéra pareil. Le calendrier ne donne que cinq semaines», dit Laurent Pelly. Outre Natalie Dessay en Cléopâtre, Emmanuelle Haïm a ainsi pu participer aux choix de distribution deux ans à l'avance. «Il est rare qu'une maison d'opéra vous laisse voix au chapitre, mais là, comme j'avais déjà dirigé l'ouvrage et que je venais avec mon orchestre, on m'a laissé faire.»

Les répétitions ont commencé début décembre aux Ateliers Berthier, à Paris. Pendant que l'orchestre répétait de son côté, chanteurs et comédiens se concentraient sur la mise en scène pure. Laurent Pelly le sait, ce Jules César n'est pas une mince affaire. «Ça me rassure de le découvrir presque en famille, autour de Natalie.» Même si les trois artistes n'ont pas encore d'autre projet en commun, les collaborations respectives de Dessay avec Haïm et Pelly ne sont pas près de s'arrêter. La cantatrice rêve déjà d'un Rameau sous la conduite de la chef, en attendant de retrouver Laurent Pelly pour Les Puritains à l'Opéra de Paris en 2013-2014.

Un retour attendu mais serein pour Emmanuelle Haïm

Les Parisiens n'auront pas oublié ses déboires avec l'Orchestre de l'Opéra, il y a un an, lorsque la chef, spécialiste du répertoire baroque, avait été contrainte de se retirer d'une production ­d'Idoménée de Mozart juste avant la première faute d'entente avec les ­musiciens.

Aujourd'hui, Emmanuelle Haïm entend bien tourner la page. « C'était un rendez-vous manqué malheureux et triste, dit-elle. Comme dans tout divorce, il y avait des torts des deux côtés. Je suis maintenant passée à autre chos e.» C'est presque apaisée qu'elle aborde donc sa nouvelle venue sous les ors de Garnier, cette fois avec son propre orchestre et pour laquelle elle n'a pas hésité à mettre les formes. Car elle le sait pour avoir ­dirigé l'ouvrage à Chicago et Glyn­debourne : dans Giulio Cesare, l'orchestre est un élément clef.

«Outre la grande variété d'airs, ce qui fait de cet opéra le plus abouti des Händel, c'est la richesse de sa palette sonore.» Bois et cuivres impressionnants, grande virtuosité des cordes, utilisation sur la scène d'instruments désuets pour l'époque (la harpe et la viole de gambe), effets d'orchestre en stéréophonie… «Händel ne s'est rien refusé pour évoquer la grandeur de l'Empire romain ou la magie du Par­nasse.» Autant de procédés auxquels cette passionnée de théâtre entend bien rendre justice. Elle n'a pas hésité à doubler les effectifs de son orchestre (jusqu'au clavecin), passant de 20 musiciens (configuration dans laquelle elle a enregistré les airs de Cléopâtre avec Natalie Dessay chez Virgin) à 45. Tant pis s'il a fallu du coup refaire la moitié du travail réalisé pour l'enre­gistrement.

Savoir travailler vite

«De toute façon, les musiciens baroques ont l'habitude de travailler vite : ils s'impliquent totalement dans l'ouvrage, n'hésitent pas à assister aux répétitions où ils ne jouent pas, si bien que ce qui prendrait des semaines avec un orchestre symphonique prend quelques heures avec eux.» Enfin, cette passionnée des voix, qui a enseigné le chant baroque au conservatoire et travaille aujourd'hui avec les plus grands chanteurs, sait le plus souvent tirer le meilleur parti de ses distributions. Cette qualité est indispensable dans cette musique où pas un air ne se ressemble, exprimant toute la palette des sentiments humains, de la vulnérabilité à la haine. «Les gens ignorent que Händel avait en plus composé une multitude d'airs alternatifs. Ils ne sont pas chantés dans la version de 1724, mais donnent encore une autre vision des personnages. Cette richesse de caractères au sein d'un même ouvrage me ­stupéfie.»

Laurent Pelly rencontre César et Cléopâtre au musée

L'action se déroule dans la réserve d'un musée. Partout, s'entassent sculptures et peintures de tous les styles et toutes les époques figurant les amours de Jules César et Cléopâtre. Chantal Thomas a dessiné pour les héros des vêtements qui semblent échappés d'une vitrine du département des antiquités. «Parmi les femmes, il n'en est pas de plus célèbre que Cléopâtre, elle fut sans cesse représentée», dit Laurent Pelly, qui dit s'être inspiré pour sa mise en scène de deux documentaires. Le premier sur les réserves du Louvre, l'autre montrant les colonnes et frontons des fouilles d'Alexandrie, juste tirées des eaux, traversant en camion, au milieu de klaxons déchaînés, le désordre des grandes villes d'Égypte. Pas question pour autant de relire ce Jules César.

Ambitieuse et amoureuse

«L'œuvre n'en a aucun besoin, estime Laurent Pelly. Elle a une forme contraignante particulière, il faut s'y couler. Et puis il y a une histoire qu'il faut raconter. Ce qui surprend, c'est le contraste entre la musique extraordinaire, grave et profonde et le texte. On ne s'attend pas à voir ­Jules César, ce conquérant, jouer à l'amoureux transi et s'exprimer à travers des métaphores bucoliques et fleuries .» Le metteur en scène va-t-il en profiter? « On peut tout faire avec Jules César, mais ça ne m'intéresse p as de multiplier les gags et d'être anecdotique. Je veux naviguer entre humour et émotions. Cet opéra décline tout le catalogue des sentiments humains : colère, jalousie, amour, haine, vengeance… C'est un peu comme si chaque sentiment était représenté par un air .» Et de s'extasier sur le personnage de Cléopâtre dont la postérité a retenu, unanimement de Shakespeare à Uderzo, l'image d'une femme ambitieuse et amoureuse mais capricieuse, changeante dans un excès qui confine au comique.

Résolument, Pelly s'est attaqué aux arias da capo. «Certains durent dix minutes avec deux phrases qui se répètent à l'infini. Il faut parfois inventer du jeu ou des histoires à l'intérieur d'un air.»

Astuces de mise en scène avec un ballet de gardiens aux petits soins pour les œuvres, réflexions avec Emmanuelle Haïm pour proposer des solutions aux chanteurs, extrême ductilité des chanteurs Lawrence Zazzo en Jules César et Christophe Dumaux en Ptolémée, tellement rompus à leurs rôles respectifs qu'ils peuvent immédiatement souligner une nuance, variation sur les registres de la réalité et du rêve… «La seule recette est de miser sur toute la palette de la diversité. Le vrai danger est que, dans la continuité, tout se ressemble trop et lasse.»

Palais Garnier, Paris IXe, du 17 janvier au 17 février. Loc. : 0 892 89 90 90.

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