Peter Grimes n’avait jamais été donné sur la scène avignonnaise et on peut dire que le chef-d'œuvre de Benjamin Britten n’a pas raté son entrée au répertoire. Les deux représentations sont proposées dans le théâtre historique sur la Place de l’Horloge, qui ouvre à nouveau après quatre ans de travaux de restauration et a gagné un nouveau lustre. Un nouveau lustre d’ailleurs dans tous les sens du terme avec, pour les parties visibles, un nouvel agencement de l’accueil, du foyer, de nouveaux sièges en salle, des peintures rafraîchies, un parquet au sol au lieu de la précédente moquette… ainsi qu’un nouveau lustre en majesté suspendu au plafond.

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Peter Grimes à l'Opéra Grand Avignon
© Mickael & Cedric Studio Delestrade

Benjamin Britten et son librettiste Montagu Slater s’inspirent d’un poème de George Crabbe et situent l’action de l’opéra dans un village de pêcheurs de la côte anglaise, où Peter Grimes est soupçonné de brutalités et d’être responsable de la mort de son mousse disparu en mer. Réalisée par Frédéric Roels, le directeur de l’Opéra Grand Avignon, la nouvelle production est annoncée comme une transposition dans les années 1970, mais les tableaux se situent dans l'imagerie traditionnelle et plutôt intemporelle de cet opéra. Le plastique brillant des bâches sombres au sol évoque les reflets de la mer, omniprésente dans l’opéra de Britten, tandis que des passerelles que l’on pousse sur le plateau et les femmes qui réparent les filets des pêcheurs confirment le village côtier du Suffolk. La scénographie de Bruno de Lavenère n’installe pas de tribunal proprement dit lors du prologue, ni de pub « The Boar » au premier acte, mais les bâches se soulèvent alors en forme de tente et la petite passerelle sert de comptoir. À l’entrée de Grimes dans le bar (« Now the Great Bear and Pleiades »), cette toile suspendue au-dessus de sa tête semble réellement le ciel étoilé qu’il évoque. Les moments d’émotion ne manquent pas, on pense en priorité aux hommes qui portent le cercueil du deuxième apprenti en tout début de l’acte III, puis à Grimes qui sort de scène au finale, après que Balstrode lui a donné deux rames pour aller couler son bateau au loin.

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Peter Grimes à l'Opéra Grand Avignon
© Mickael & Cedric Studio Delestrade

Mais c’est d’abord la suprême qualité de la musique jouée par l’Orchestre National Avignon-Provence qui nous comble d’emblée. Elle fait ressortir les orchestrations très variées et riches de séquences envoûtantes, ainsi que le génie mélodique de Britten, qui font de Peter Grimes un si grand chef-d’œuvre. Sous la direction de Federico Santi, tous les instrumentistes font preuve d’une concentration sans relâchement et le chef parvient à doser les volumes des différents pupitres en une alchimie enthousiasmante. Les exemples sont nombreux, comme les flûtes et la harpe pendant le récit de Peter de la mort de son premier apprenti, les trombones régulièrement menaçants, ou encore l’ensemble des cordes pendant les introductions et interludes musicaux. La précision rythmique est aussi impeccable, aussi bien pour les instrumentistes que les choristes, ces derniers provenant des deux chœurs de l’Opéra Grand Avignon et de l’Opéra national Montpellier Occitanie.

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Peter Grimes à l'Opéra Grand Avignon
© Mickael & Cedric Studio Delestrade

La distribution vocale présente une grande cohérence d’ensemble, composée de timbres caractéristiques des spécificités de chaque rôle. En Peter Grimes, Uwe Stickert est un ténor au registre aigu très concentré et sonore, un timbre clair assez éloigné, par exemple, d’un Jon Vickers aux sonorités plus sombres et larges. La question de la culpabilité ou de l’innocence de Grimes dans le décès de ses apprentis reste en suspens, l’acteur jouant à merveille le pêcheur bourru, vu comme différent par les habitants de « The Borough ».

Ellen Orford convient assez idéalement à Ludivine Gombert : la voix n’est pas d’une puissance démesurée mais les aigus aériens et ronds correspondent bien à ce personnage plein d’empathie pour son prochain. Son air du troisième acte « Embroidery in childhood » dégage une pure émotion, tout comme le sublime quatuor de l'acte II en compagnie d’Auntie et ses deux « nièces », à l’issue duquel est marqué l’entracte. Dans ces emplois, Cornelia Oncioiu incarne une Auntie vocalement plutôt sobre, aux côtés de Charlotte Bonnet (First niece) et Judith Fa (Second niece) en imperméable et perruque blonde platine. Svetlana Lifar en impose davantage en décibels mais tout en restant dans le raisonnable, incarnant une Mrs Sedley respectable mais complètement accro à ses pilules et passionnée par les enquêtes policières.

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Peter Grimes à l'Opéra Grand Avignon
© Mickael & Cedric Studio Delestrade

Robert Bork est le baryton sonore qu’on attend pour chanter le Captain Balstrode, instrument joliment timbré et vaillamment projeté. Mais c’est toute la distribution qui doit être saluée : Pierre Derhet (Bob Boles), Geoffroy Buffière (Swallow), Jonathan Boyd (Reverend Adams), Laurent Deleuil (Ned Keene) ou encore Ugo Rabec (Hobson) participent tous de l’excellence d’une production à marquer d’une pierre blanche.

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