Le Palazzetto Bru Zane a eu l’heureuse idée de coupler dans un même spectacle les rares Princesse jaune de Saint-Saëns et Djamileh de Bizet, deux œuvres contemporaines (1872) ayant pour point commun de solliciter l’orientalisme, particulièrement en vogue en France dans ces années 1870… et d’avoir échoué assez sévèrement auprès de la critique et du public lors de leur création à l’Opéra Comique. En dépit de réhabilitations ultérieures et de reprises somme toute assez sporadiques, ces deux opéras-comiques ne se sont jamais imposés sur les scènes lyriques.

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La Princesse jaune à l'Opéra de Tours
© Marie Pétry

Cette nouvelle production, montée avec beaucoup de soin à l'Opéra de Tours, permet de les réévaluer à leur juste mesure… et de comprendre, probablement, les raisons de leur échec. Les livrets, tout d’abord : celui de La Princesse jaune présente un thème (celui de l’artiste tombant amoureux de son œuvre d’art) qui, pour intéressant qu’il soit, n’est pas complètement nouveau en cette seconde moitié de XIXe siècle, et offre un support dramatique assez mince pour cet acte unique où ne dialoguent que deux personnages. Celui de Djamileh a peut-être, pour sa part, déçu les admirateurs de la Namouna de Musset (1832) dont il s’inspire… Quoi qu’il en soit, dépêchons-nous de profiter de Djamileh avant que les partisans de la culture woke n’apprennent l’existence de cette œuvre dans laquelle les hommes achètent des esclaves femmes, lesquelles se réjouissent de leur sort et tombent amoureuses de leurs maîtres !

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La Princesse jaune à l'Opéra de Tours
© Marie Pétry

Quant à la musique, ce qui la rend intéressante aujourd’hui (recherches mélodiques, rythmiques, harmoniques aux fins d’évoquer un possible Orient musical) est précisément ce qui a dû dérouter le public des créations, sans parler d’une volonté très nette, plus encore chez Bizet que chez Saint-Saëns, de proposer des airs ou des scènes échappant aux structures plus ou moins fixes qui avaient assuré le succès de bon nombre de leurs prédécesseurs.

La réussite de la représentation repose en grande partie sur l’Orchestre Symphonique Région Centre-Val de Loire/Tours qui, sous la direction de Laurent Campellone, à la fois extrêmement raffinée et très contrastée (magnifique ouverture de Djamileh !), offre une remarquable lecture de ces deux œuvres. Précision des attaques, variété des couleurs, homogénéité et transparence de la pâte orchestrale : on devine que ce très beau résultat est le fruit d’un travail patient et rigoureux pour lequel on ne peut que féliciter les musiciens et leur chef. Le Chœur de l’Opéra de Tours n’est pas en reste, même s’il a moins l’occasion de briller – et intervient assez souvent en coulisses !

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La Princesse jaune à l'Opéra de Tours
© Marie Pétry

Les distributions ont visiblement été établies avec soin, comme toujours dans les productions du Palazzetto Bru Zane, et sont globalement fort satisfaisantes. Le beau timbre de Sahy Ratia, étoile montante de l’art lyrique déjà repéré dans La Dame blanche proposée en streaming par l’Opéra de Rennes, perd un peu de son soyeux dans l’aigu forte où certaines voyelles sont parfois excessivement ouvertes. Le chanteur en revanche excelle dans la douceur et la tonalité élégiaque : ses deux airs de La Princesse jaune, notamment, sont superbes et font entendre un panel de nuances de toute beauté. C’est Jenny Daviet qui lui donne la réplique en Léna : la soprano dispose d’un timbre charnu aux couleurs plutôt sombres, particulièrement adapté à l’expression de sentiments forts (colère, jalousie) ; il l’est un peu moins à celle de la plainte ou de la tendresse, et certaines pages (le duo final « Félicités promises » par exemple) auraient gagné à être interprétées avec plus de douceur et un plus grand usage de la nuance piano.

Aude Extrémo fait entendre en Djamileh toutes les qualités qu’on lui connaît : émission péremptoire, dramatisme inné, grain du timbre immédiatement reconnaissable. La voix a paru cependant un peu surdimensionnée pour le rôle de cette frêle esclave, se pliant parfois au prix de quelques efforts aux mélismes raffinés de la ligne vocale. Excellent, le Splendiano de Philippe-Nicolas Martin, pour la rondeur du timbre, la qualité de l’émission et la clarté de la prononciation.

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Djamileh à l'Opéra de Tours
© Marie Pétry

La mise en scène de Géraldine Martineau, enfin, actualise sobrement les livrets et proposant une lecture des œuvres respectueuse des textes comme de la musique. Un soin tout particulier semble avoir été accordé au jeu d’acteur (tous les chanteurs sont des comédiens convaincants) et à la déclamation des textes : bravo à Sahy Ratia et Jenny Daviet, qui déclament les alexandrins de Louis Gallet dans La Princesse jaune avec l’aplomb d’acteurs professionnels !


Le voyage de Stéphane a été pris en charge par l'Opéra de Tours.

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