Afin de conclure sa saison en beauté, l’Opéra de Monte-Carlo a opté pour le monumental Boris Godounov de Moussorgski, présenté dans sa version originale sans entracte. Au programme, deux heures trente d’abondance et de somptuosité, ravissant tout autant la vue que l’ouïe.

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Boris Godounov à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Teinté de notes politiques et de références populaires russes, l’argument retrace le couronnement de Boris, devenu tsar après avoir assassiné l’héritier légitime du trône, Dimitri. L’ouvrage se divise en sept tableaux dramatiques, dépeignant chacun les immenses steppes de la Russie profonde, parachevés par le rendu de portraits psychologiques accomplis et puissants.

14h précises : les rideaux de l’édifice lèvent le voile sur la mise en scène mystique de Jean-Romain Vesperini. Le public découvre un plateau scindé dans sa longueur, dont la séparation latérale distingue le monde du peuple de celui du pouvoir et du divin. Les décors et l’éclairage relèvent d’un jeu subtil entre ombre et lumière, dévoilant quelques touches expressionnistes – à l’instar de la vaste lune du premier tableau –, entremêlées de constantes références hiératiques.

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Ildar Abdrazakov (Boris Godounov)
© Alain Hanel

Dès les premières notes, la cohésion et la puissance du chœur attirent l’oreille. Entre chants fédérateurs et hymnes de gloire à Dieu, l’ensemble incarne à merveille l’âme du peuple russe. Entre ensuite en scène le rôle principal, tenu par l’imposant Ildar Abdrazakov. Constamment à l’aise, y compris dans les extrêmes de sa tessiture, le Russe arbore un vibrato généreux, ainsi qu’une parfaite émission vocale. Les ajouts de souffles et de cris ne font qu’enrichir la personnification de son interprétation. A ses côtés, Alexeï Tikhomirov est remarquable de stabilité dans le rôle de Pimène. Il fait preuve d’une maîtrise technique exemplaire et d’une diction articulée et sereine, à l’image du sage qu’il incarne. Le Chouïski d’Aleksandr Kravets se montre quant à lui énergique et brillant. Majoritairement masculine, la distribution se poursuit avec Ilia Koutioukhine dans les traits de Chtchelkalov, regorgeant de pathos et d’empathie.

Outre les personnages principaux, l’ouvrage affiche une pléthore de seconds rôles, dont l’authenticité peaufine ce « drame musical populaire », comme aimait à l’appeler Moussorgski. Parmi eux se distinguent la délicate Marina Iarskaïa (Féodor), au ton simple et chaleureux, ainsi que l’aubergiste de Natascha Petrinsky, mezzo incisive soignant la diction de chaque consonne du texte. Mention spéciale pour le formidable phrasé naturel exhibé par le fier Alexander Teliga (Varlaam), doublé d’une importante aisance dans les lignes mélodiques au mètre changeant.

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Boris Godounov à l'Opéra de Monte-Carlo
© Alain Hanel

Un problème technique dans le surtitrage occurrent au cœur du cinquième tableau engagera l’auditeur à focaliser son attention sur l’incarnation dramatique des acteurs : sans recours à la traduction, seuls les gestes et inflexions vocales permettent de comprendre la narration. L’aspect théâtral prend alors encore davantage de sens, comme si l’incident avait recentré la concentration de l’audience sur le jeu des artistes.

Toute l’interprétation durant, l’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo se montre particulièrement flexible ; se pliant à toutes les intonations du drame, tantôt suave, tantôt poignant et emporté. L’ensemble se place au service de l’expression des sentiments, conduit par la main souple et aérienne de Konstantin Tchoudovski. On retiendra de ce spectacle une performance, qui aussi bien visuellement que musicalement, aura su allier grandiose et parole populaire.

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