Trois destinées pour un héros

De Grenoble à Toulouse, de Glyndebourne à New York, Laurent Pelly est une des personnalités marquantes de la scène internationale, tant au théâtre qu’à l’opéra. De nationalité française, né en 1962, ce créateur curieux de tout attendit pourtant vingt ans - mettant en scène plus de cinquante productions théâtrales à travers toute la France - avant d’aborder l’opéra.

Martine D. Mergeay
Trois destinées pour un héros
©D.R.

De Grenoble à Toulouse, de Glyndebourne à New York, Laurent Pelly est une des personnalités marquantes de la scène internationale, tant au théâtre qu’à l’opéra. De nationalité française, né en 1962, ce créateur curieux de tout attendit pourtant vingt ans - mettant en scène plus de cinquante productions théâtrales à travers toute la France - avant d’aborder l’opéra. Ses premières productions lyriques - citons Platée de Rameau, La Belle Hélène, Les Contes d’Hoffmann ou La Grande Duchesse de Gerolstein d’Offenbach, menées, déjà, avec Marc Minkowski - remportent un immense succès, par leur mélange de drôlerie, de sensibilité et de profondeur. Depuis, tout en assurant avec Agathe Mélinand la direction du Théâtre National de Toulouse, Laurent Pelly aborde les opéras les plus variés (mais nous lirons que le XIXe siècle est son terrain favori); à La Monnaie, il met en scène deux récitals de Felicity Lott et en fait des chefs-d’œuvre de sensibilité et d’humour. Le voici aux prises avec ce "Don Quichotte" (de Massenet) qui signe les adieux de José van Dam à l’opéra.

Nous l’avons rencontré à La Monnaie, entre deux répétitions, vaguement explosé

Ce n’est pas votre première rencontre avec Massenet, vous avez déjà mis en scène “Cendrillon”, vous vous apprêtez à monter “Manon”, comment vous apparaît “Don Quichotte” parmi les opéras de Massenet ?

Là, aujourd’hui, il me paraît surtout très complexe (rires) : il y a cinq actes et cinq décors différents, deux distributions, une grande présence des chœurs, une fête espagnole, on aborde les répétitions en costumes (on respire un bon coup) mais on va s’en sortir.

Avec Massenet, Donizetti et Offenbach, pour ne citer qu’eux, vous devenez un spécialiste du XIXe siècle.

C’est une période que j’adore (j’ai monté neuf opéras d’Offenbach ) mais qui contient des pièges, surtout dans l’opéra français où les sujets de départ, même signés Goethe ou Cervantès, sont souvent passés à la moulinette. Ici, déjà, ça commence mal : Dulcinée ouvre l’opéra et occupe presque tout le premier acte alors que dans l’œuvre de Cervantès, elle est un fantasme, elle n’existe même pas. Mais il faut prendre Massenet comme il vient

Quelle idée maîtresse vous a guidé dans cette mise en scène ?

Faire coïncider Don Quichotte, José van Dam et Jules Massenet : il s’agit chaque fois d’un homme d’un certain âge, saisi à la fin d’un processus, d’un créateur confronté à ses bilans et à ses rêves. Littérature, chant, musique : avec Barbara de Limburg - qui signe les décors -, on est parti de l’idée du papier et tout est décliné en feuilles de papier, on est perdu dans les montagnes de papier, des poèmes, des lettres (peut-être les lettres d’amour que Dulcinée n’a pas voulu ouvrir ) et quelques partitions. Le même principe est adopté pour les costumes, mais je ne vous en dirai pas plus sauf que c’est vraiment du sport, sans compter la traditionnelle "espagnolade", passage obligé de tout opéra romantique qui se respecte

Il n’y a donc aucun réalisme dans votre mise en scène.

Non (rires), pas de réalisme; et ce côté irréel a le mérite de "réveiller" une œuvre qui, sinon, pourrait paraître bien désuète (parlant du livret), et de lui offrir un plus grand espace de liberté et de poésie.

Quelle substance pour les personnages ? Mythique ou psychologique ?

Pour Don Quichotte, je me suis tout simplement centré sur la personne de José, extraordinaire inspirateur par son côté double - noblesse et farce -, allant de pair avec l’homme "vrai"; c’est ce qui fait que, dans cette production, chaque fois qu’on arrive à la fin du IVe acte et à la fin du Ve acte, je pleure. J’ai beau me dire "cette fois, tu sais ce qui t’attend, tu ne vas pas te faire surprendre", c’est plus fort que moi, je pleure, nous pleurons tous . J’ai tout pensé pour José et je lui ai dédié cette mise en scène C’est un artiste de la trempe d’une Felicity Lott (c’est pour elle aussi que j’ai imaginé la mise en scène de "La Belle Hélène" ou de "La Grande Duchesse de Gerolstein"); travailler avec des artistes de ce niveau est merveilleux, d’autant qu’ils sont généralement les plus curieux, les plus ouverts, les plus collaborant (notez que cela se passe comme ça aussi avec Vincent Le Texier, qui alterne le rôle titre avec José ).

Et Sancho, comment le voyez-vous ?

Chanté par Werner Van Mechelen ou Lionel Lhote, aussi convaincants l’un que l’autre Sancho est l’homme du concret, une sorte de sage, dans sa naïveté, animé par une immense tendresse pour Don Quichotte : c’est d’ailleurs là que se situe la véritable histoire d’amour de l’opéra.

Et Dulcinée ?

C’est quand même la garce, la pauvre petite fille riche qui se fait prier La sincérité de Don Quichotte semble l’émouvoir, et même susciter chez elle quelques chose de l’ordre de la rédemption, mais ce passage va très vite, je ne sais pas encore quel parti prendre; à ce niveau des répétitions, j’attends l’orchestre pour écouter ce que la musique me raconte (même noyée dans le kitsch du livret ). Là aussi, deux chanteuses aux subtiles différences : Silvia Tro Santafé et Jennifer Larmore.

L’orchestre est dirigé par Marc Minkowski, un partenaire de longue date.

Nous avons beaucoup collaboré dans le passé, mais il y a six ans que nous n’avons plus rien monté ensemble, ce "Don Quichotte" signe donc des retrouvailles !

A La Monnaie, à partir du 4 mai. Info : 070.23.39.39 ou www.lamonnaie.be

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