dimanche 2 juin 2024

CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts (du 12 au 16 mars 2024). ROSSINI : Tancredi. T. Iervolino, M. Monzo, S. Ballerini… P. E. Rousseau / G. Petrou.

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Emmanuel Andrieu
Emmanuel Andrieu
Après des études d’histoire de l’art et d’archéologie à l’université de Montpellier, Emmanuel Andrieu a notamment dirigé la boutique Harmonia Mundi dans cette même ville. Aujourd’hui, il collabore avec différents sites internet consacrés à la musique classique, la danse et l’opéra - mais essentiellement avec ClassiqueNews.com dont il est le rédacteur en chef.

Venise ou Ferrare ? Entre les deux finale du premier succès de Gioacchino Rossini, Tancredi (1813), l’Opéra de Rouen Normandie a choisi le deuxième, troquant le lieto fine vénitien contre la fin tragique ferraraise, qui voit le héros-éponyme expirait dans les bras de son amante Amenaïde. Une seconde version qui se termine sur les pages les plus sombres et les plus émouvantes jamais écrites par le Cygne de Pesaro (un bouleversant arioso accompagné par les cordes, mais en avance sur son temps, si bien que c’est la première version heureuse qui s’établira durablement ensuite). 

 

 

A Rouen, le spectacle convainc de bout en bout, et notamment vocalement et musicalement, en offrant de Rossini une image à la fois bouleversante et flatteuse à l’oreille. Remplaçant au pied levé le chef italien Antonello Allemandi, son confrère grec George Petrou offre d’abord une Ouverture (un peu trop) survitaminée, à la tête d’un brillant Orchestre de l’Opéra de Rouen Normandie, avant de nouer les liens du drame et  faire entendre le moindre trait signifiant. Sa direction musicale permet ainsi de faire se concentrer les auditeurs sur l’atmosphère nostalgique de nombreuses pages, au lieu de vivifier un art de “l’effet” qui priverait de leur consistance psychologique. 

La distribution est superlative, même si le rôle-titre, incarnée par la mezzo italienne Teresa Iervolino, n’a pas toujours la puissance et la projection vocale requises par son personnage. Mais ce que l’on perd là aussi en “effet”, on le gagne en pouvoir émotionnel, porté par un timbre aux moirures magnifiquement sombres, doublé d’une impeccable musicalité et maîtrise stylistique. Mais la révélation de la soirée est sans conteste Marina Monzo, la jeune soprano espagnole se montrant superlative à tous les niveaux. A une rare talent de tragédienne, dès que le malheur fond sur son personnage d’Amenaïde, le timbre se corse insensiblement, et l’aigu gagne en ferveur sans perdre en moelleux ; parallèlement, la palette des affects s’enrichit d’une subtile austérité qui assure à ses lamenti un incroyable poids dramatique, sans pour autant nuire à la clarté de l’intonation ou à la célérité du trait rapide. Elle est accueillie par des tonnerres de hourrah au moment des saluts, volant ainsi la vedette au rôle-titre. Une autre bonne surprise est le ténor argentin Santiago Ballerini, qui se taille également un beau succès personnel dans le rôle d’Argirio (le père d’Amenaïde). Il se révèle en effet étourdissant dès son air d’entrée, insolent dans la colorature, notamment dans son grand air “Ah ! Segnar invano io tento”, hérissé de contre-Ut et contre-, tandis que  l’acteur se montre aussi particulièrement investi. Dommage que la basse géorgienne Giorgi Manoshvili, dans le rôle d’Orbazzano n’ait aucun air à chanter, car il se fait néanmoins positivement remarquer dans chacune de ses interventions, et l’on tient là une jeune basse pleine de promesses que l’on suivra à l’avenir avec intérêt. Enfin, le jeune mezzo française Juliette Mey – révélation lyrique aux dernières Victoires de la Musique Classique – impressionne dans son superbe air “Tu che i miseri conforti”, par son contrôle du souffle et son aisance dans la vocalise. 

Enfin, côté mise en scène, Pierre-Emmanuel Rousseau fait preuve de son élégance habituelle, et comme toujours ne trahit jamais le caractère de l’ouvrage, qu’il fait plongé d’emblée dans un climat sombre et oppressant, dans une scénographie (qu’il signe lui-même, de même que les costumes) dépouillée et mortifère que seuls quelques “dorures” et effets de lumière tirent de l’ombre. Des moines aussi omniprésents qu’inquiétants y font peser une atmosphère pesante et obscurantiste, tandis qu’Amenaïde jetée dans une cage évoque sans coup férir au sort de Jeanne d’arc quelques siècles plus tôt dans cette même ville de Rouen. De la belle ouvrage avec une recherche esthétisante bienvenue en ces temps de laideur scénique quelque peu généralisée…

Enfin, l’on applaudira l’idée du fringant directeur de l’Opéra de Rouen, Loïk Lachenal, d’avoir voulu rendre hommage à Ewa Podles, disparue récemment, et qui restera, aux côtés de Marilyn Horne, la plus grande interprète de Tancredi ces 50 dernières années.

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CRITIQUE, opéra. ROUEN, Théâtre des Arts (du 12 au 16 mars 2024). ROSSINI : Tancredi. T. Iervolino, M. Monzo, S. Ballerini… P. E. Rousseau / G. Petrou. Photos (c) Marion Kemo.

 

AUDIO : Ewa Podles chante l’air « Di tanti palpiti » extrait de Tancredi de Rossini

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